Crédit : Cocktail Santé
Introduction de Marie-Anne MONTCHAMP, Directrice générale de l’OCIRP
(voir aussi cet article)
Dans son ouvrage « Dans l’œil de l’État – Moderniser, uniformiser, détruire », James C. Scott, professeur de science politique à l’Université de Yale, livre une parabole de la durabilité à travers l’histoire de l’avènement de la sylviculture scientifique au XVIIIème siècle : la mise en œuvre par le modernisme d’Etat d’une rationalisation et d’une standardisation extrêmes des forêts, à travers la monoculture, en manquant de respecter l’écosystème forestier, en a détruit à terme la richesse sans obtenir la rentabilité escomptée.
On peut lire de plusieurs façons la parabole de James C. Scott : la mesure et la norme ne peuvent être des fins en soi ; la simplification ne peut servir de fondement à la prise de décision stratégique ; « penser éco-systémique » est indispensable à la pérennité de nos entreprises ; le temps long doit être appréhendé par l’organisation en s’extirpant du pilotage à court terme sous la pression d’un retour immédiat ; l’intégration stratégique est une condition de l’acceptabilité de la CSRD.
L’Union OCIRP, union d’institutions de prévoyance, est régie par le code de la Sécurité sociale et doit répondre à la réglementation prudentielle Solvabilité II. De ce double rattachement procède en quelque sorte l’obligation de répondre des deux « matérialités », financière et extra financière, qu’explicite la CSRD.
L’OCIRP, dont la raison d’être est « Engagés pour l’autonomie », met en œuvre, par nature, l’esprit de la directive CSRD avant d’être tenu d’en appliquer les dispositions. Trois illustrations peuvent en être données : le plan stratégique de l’OCIRP ; la démarche Néobrain et l’investissement à impact social.
Le plan stratégique de l’OCIRP contient quatre axes. L’axe 1 : « Engagés pour l’autonomie », qui inscrit l’action de l’Union dans l’intérêt général. L’axe 2, « Une union durable », axe qui engage l’OCIRP à renforcer ses liens et interactions avec ses membres dans une logique éco-systémique totalement assumée. L’axe 3, « Un développement à impact », a pour objet de garantir aux branches professionnelles, aux entreprises et aux bénéficiaires des garanties OCIRP, un service rendu mesurable, au-delà même du service des rentes. Enfin l’axe 4 est d’être « Un financeur responsable » par le respect des exigences prudentielles et la recherche d’impact des investissements. Par son plan stratégique, l’OCIRP affirme tout à la fois son adhésion à l’esprit de la directive en même temps qu’il se prépare à en assumer la contrainte de mise en œuvre.
Deuxième illustration, pour être mieux armé face aux bouleversements des métiers par l’IA et à la concurrence exacerbée, l’OCIRP a lancé, à destination de tous ses collaborateurs, la démarche Néobrain fondée sur un double questionnement : celui des compétences cognitives et celui de l’appétence individuelle.
Enfin, troisième illustration : l’investissement à impact social et l’indice Autonomiah que François Grinda et Caroline Selva présenteront dans un instant.
Les convergences entre l’esprit de la CSRD et le corpus règlementaire qui régit les institutions de prévoyance, comme l’ensemble des assureurs (Solvabilité II, DDA), sont manifestes. Le sous-jacent de ce corpus réglementaire, au-delà de la prévention des risques systémiques inhérents à nos activités, est clairement de conférer au modèle économique européen, dont les assureurs sont des acteurs clés, des caractéristiques de différenciation et de compétitivité face à la menace de modèles concurrents.
Maya VIE, Chargée de mission Gouvernance & Reporting de durabilité, ORSE (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises)
(Voir la présentation ORSE et le document « Quels défis relever pour se préparer à la CSRD ? » (Audencia, Ifaci, ORSE, PwC, 2023) téléchargeables en fin d’article).
Avec la Corporate sustainability reporting directive (CSRD), nous entrons dans l’ère d’une RSE véritablement intégrée à la stratégie des organisations. Ces dernières doivent monter en quoi leur stratégie financière sert les enjeux de durabilité. La dimension RSE est placée par la directive sur le même plan que la dimension financière : le reporting financier et le rapport de durabilité sont désormais soumis aux mêmes exigences. La transcription française de la directive n’évoque presque plus l’ « extra-financier », mais plutôt la « durabilité ».
La CSRD a aussi pour objectif d’harmoniser les rapports des entreprises dans le cadre de la stratégie de finance durable de l’Union européenne, qui vise à orienter les flux de capitaux vers des investissements plus durables. Le reporting des entreprises en matière d’enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance est inscrit par la CSRD dans une stratégie de finance durable.
Entrant progressivement en vigueur (directive appicable depuis le 1er janvier 2024, premiers reportings en 2025 sur l’exercice 2024, pour les entreprises déjà soumises à la NFRD, puis selon le profil de l’entreprise), sur un périmètre élargi (environ 50 000 entreprises concernées en Europe et 5 000 en France), la CSRD pose un niveau de formalisation nouveau et exigeant sur le reporting de durabilité.
Elle met en place des standards de reporting obligatoires: ESRS (European sustainability reporting standards) ou normes de durabilité, trans-sectorielles, générales, thématiques et sectorielles.
La double matérialité est la pierre angulaire du reporting de durabilité. Il s’agit d’appréhender l’impact de l’environnement de l’entreprise, de son écosystème, sur son modèle d’affaires et sa santé financière mais aussi comment l’entreprise gère ses impacts sur son écosystème et ses parties prenantes.
La CSRD met aussi en place un audit de durabilité exigeant – les informations étant vérifiées par un commissaire aux comptes ou un organisme tiers indépendant – progressivement aussi robuste que l’audit financier, allant de la garantie d’une assurance modérée à celle d’une assurance raisonnable (d’ici 2029).
Face à ces exigences renforcées de l’Union européenne, l’ORSE a travaillé avec 14 entreprises (en majorité des grandes entreprises multi-sectorielles), ses membres et ses partenaires (la Chaire Performance globale multi-capitaux d’Audencia, l’Ifaci – Institut français de l’audit et du contrôle internes – et PwC pour répondre aux enjeux de la CSRD pour les entreprises :
– un niveau de formalisation très exigeant, qui suscite beaucoup de questions sur la compréhension des textes et leurs implications opérationnelles
– La compréhension de la notion de double matérialité, pilier de la directive et base de la rédaction du reporting de durabilité
– la multiplicité des dimensions à prendre en compte : temporalité (du court au moyen terme, prospective), thèmes variés, implantation géographique, diversité des parties prenantes de l’entreprise, intérêt à porter cet exercice à un niveau stratégique
Le document réalisé par l’ORSE permet d’appréhender la notion de double matérialité et donne des clés assez simples. Le message principal est que les entreprises, notamment en France, disposent déjà d’une grande richesse de ressources pour répondre aux exigences de la CSRD.
Les résultats des travaux de l’ORSE et de ses partenaires sont synthétisés dans le document remis aux participants du LAB OCIRP Autonomie.
Christine METZ, Associée Compliance Insurance, PwC France
(Voir la présentation PwC téléchargeable en fin d’article)
Le contexte des réglementations en matière de durabilité
La CSRD arrive en même temps que d’autres textes interdépendants qui s’appuient tous sur le Pacte européen pour la finance durable adopté en 2018. Ce pacte a trois objectifs :
– réorienter les flux de capitaux vers une économie plus durable
– intégrer systématiquement la durabilité dans la gestion des risques
– favoriser la transparence et une gestion de long terme
Toutes ces réglementations ne sont pas encore stabilisées à ce jour. La taxonomie européenne, qui doit classifier les activités selon un référentiel de durabilité, est en cours d’élaboration pour les domaines du social et de la gouvernance. Aux réglementations européennes s’ajoutent des textes nationaux comme la loi PACTE.
Les nouveaux reporting de durabilité
L’enjeu de la CSRD , au-delà des nouveaux reportings, est d’être en capacité de mesurer la performance d’une entreprise pas uniquement à travers le prisme financier mais d’intégrer les enjeux non financiers.
L’ambition est de réconcilier développement économique et durabilité. Avec la CSRD, cet objectif est désormais poursuivi à travers des approches beaucoup plus structurées, encadrantes et normées.
La CSRD élargit le champ d’application des entités assujetties à la publication d’un rapport de durabilité. Plusieurs vagues d’application de la CSRD sont prévues, la première dès 2025 (sur l’exercice 2024) pour les grandes entreprises, les entreprises de taille plus modeste étant concernées en 2026 et 2027 (voir la présentation).
Les notions clés de la CSRD
La CSRD a modifié trois directives pour inscrire l’obligation de reporting de durabilité au même niveau que le reporting financier.
La première norme est un dictionnaire, qui rassemble un certain nombre de notions clés.
La norme 2 impose des obligations de reporting de portée générale, qualitatives (politiques, engagements, stratégie ESG) et quantitatives (données sur la composition des conseils d’administration, leur gouvernance, chiffre d’affaires, les effectifs …). Certaines informations quantitatives sont déjà publiées dans les rapports de développement durable, les DPEF (déclarations de performance extra-financière) et les bilans sociaux.
La complexité s’intensifie avec les normes thématiques. Aujourd’hui, ces normes sont transversales : elles s’appliquent à toutes les entreprises, quel que soit le secteur d’activité. A l’horizon 2028 probablement, des normes additionnelles de reporting seront publiées et s’appliqueront au secteur de l’assurance. Elles sont en cours d’élaboration.
Les normes transverses actuelles couvrent les trois dimensions ESG (Environnement, Social et Gouvernance).
Dans le champ de l’environnement, on trouve tout d’abord une norme contraignante sur le changement climatique. Viennent ensuite des normes relatives à la pollution, aux ressources aquatiques et marines, à la biodiversité et aux écosystemes, à l’utilisation des ressources et à l’économie circulaire. Dans ces dernières normes (notamment biodiversité et économie circulaire), on retrouve en général des logiques de significativité au travers des investissements du secteur assurantiel, mais pas sur les activités polluantes en propre.
La dimension sociale est plus intrinsèque aux activités d’assurance. On retrouve les sujets liés aux collaborateurs et aux travailleurs de la chaîne de valeur (délégataires de gestion, fournisseurs, distributeurs), aux communautés impactées, aux consommateurs et acteurs finaux : clients, adhérents, sociétaires.
En matière de gouvernance, la norme de conduite responsable des affaires revêt plusieurs dimensions : prévention de la corruption, lobbying, financement d’activité politiques, interactions avec les fournisseurs, délais de paiement …
Toutes ces normes créent des obligations de reporting fondées sur une analyse préalable en termes de double matérialité. Ces normes sont toutes structurées de la même manière. En ce qui concerne les obligations de reporting, on retrouve ces quatre points: informations qualitatives relatives à la gouvernance (implication dans les dimensions ESG), la stratégie de l’entreprise, la gestion des impacts, risques et opportunités (formalisation de l’analyse en termes de double matérialité) et les indicateurs et objectifs (éléments quantitatifs).
Une des novations de la CSRD est la cartographie de la chaîne de valeur de l’entreprise. Il s’agit d’examiner en quoi ces activités sont durables, non seulement ses activités en propre, mais aussi celles de son écosystème et de sa chaîne de valeur, en amont et en aval. La présentation donne le detail d’un chaîne de valeur assurantielle.
La gestion des risques doit être complétée par une approche “opportunités”, les deux constituant l’approche financière. La CSRD, dans ce domaine, pose le principe de la double matérialité mais n’impose pas d’approche méthodologique en matière de seuils de significativité.
On peut estimer qu’un établissement du secteur de l’assurance devra traiter dans son reporting entre 300 et 400 points de données, réparties entre données quantitatives et qualitatives. La CSRD place les établissements dans une logique de progressivité. Il ne s’agit pas d’être parfait dès la première année, mais de définir un premier cercle ESG de reporting et d’avancer ensuite dans des plans de progrès (informations non encore disponibles, bilans carbone ne répondant pas encore aux exigences, plans de formation, d’accompagnement, sujets relatifs à la diversité ou à l’inclusion dont les premières briques ont été posées mais qui ne sont pas encore totalement aboutis …). Le but est d’expliquer dans quelle mesure tous ces sujets de durabilité sont traités et vont évoluer.
Le contenu des normes a déjà été évoqué (voir présentation PwC : exemples d’informations qualitatives et de données quantitatives).
Les impacts
La CSRD n’est pas punitive. Elle n’est pas assortie de sanctions financières. Toutefois, elle prévoit un reporting qui constitue une section intégrée dans le rapport de gestion et est concerné par la certification des comptes. Le commissaire aux comptes peut donc être amené à émettre des réserves sur ce reporting.
L’exercice impliqué par la CSRD est contraignant, normé et il convient de l’anticiper avec les vérificateurs de durabilité (nommés en assemblée générale). A horizon de 3 ou 4 ans, la CNCC aura établi la logique d’assurance raisonnable. Les indicateurs importants doivent être co-construits en fonction du modèle d’affaires.
Delphine LALU, Consultante en durabilité, Insti7
Delphine Lalu est Consultante senior au sein d’Insti7, cabinet de conseil en investissement, exclusivement dédié aux investisseurs institutionnels (IP, GPS et fondations). Elle a été membre du Collège de déontologie du Conseil économique, social et environnemental (Cese), où elle présidait la Commission Économie et finances de 2015 à 2021.
Avec le Green New Deal, ou Pacte vert, l’Europe a entrepris un vaste chantier de transformation de l’économie pour l’adapter à un monde bas-carbone. Ce chantier peut inquiéter, tant son ampleur thématique et sa visée transformatrice sont importantes, en particulier pour les entreprises de taille intermédiaire, pour les filières industrielles les plus émettrices de gaz à effet de serre et pour les salariés de ces entreprises qui se trouvent de facto potentiellement exposés à de profonds changements en matière d’organisation du travail.
L’inquiétude n’étant jamais bonne conseillère, il convient de prendre en compte ces réglementations avec méthode, en considérant tout d’abord qu’elles ne sont ni une surprise ni une contrainte indépassable pour les acteurs économiques français.
Rappelons l’antériorité de la France et son leadership en matière de négociation sur le climat (le succès de la Cop 21 en 2015) : ces réglementations ont été souhaitées par les très grandes entreprises des secteurs énergétiques et financiers, anticipées et accompagnées par les gouvernements successifs. En outre, en voulant faire de Paris la place de la finance verte en Europe, le Président de la République a largement contribué à renforcer le paquet Finance climat du Pacte vert. Il n’est pas anodin que la France ait été le premier pays à transposer la directive sur le reporting de durabilité dans son droit national. La France compte bien maintenir le rythme.
A celles et ceux qui s’inquiètent d’une nouvelle étape contraignante en matière de transparence, rappelons que CSRD s’inscrit dans la continuité de règlements et en complément de lois qui mobilisaient les assureurs et les acteurs de la finance : l’Article 29 de la loi Energie Climat, le règlement SFDR, l’inscription du risque de durabilité dans l’EIRS au chapitre gouvernance et gestion des risques… La CSRD doit permettre à terme aux investisseurs de mieux maîtriser leurs données et les risques extra-financiers associés à leurs investissements.
De manière opérationnelle, il faut démystifier un peu cette directive, souvent présentée comme trop complexe car elle articule des horizons de temps et de modalités de valorisation multiples. Rappelons son esprit : la CSRD n’oblige pas les entreprises éligibles à tout faire, mais à expliquer ce qu’elles font et ce qu’elles ne font pas en matière de durabilité, en respectant un cadre négocié qui précise la définition et l’envergure des normes de durabilité (ESRS).
Quelles sont ces normes ? Une entreprise doit-elle tout appliquer à la lettre et piloter chaque indicateur grâce à des logiciels quantitatifs plus ou moins sophistiqués ? Non. Ou plus exactement, chaque entreprise est invitée à formuler son niveau d’ambition et d’application, à utiliser les normes de durabilité comme une sorte de « livre de cuisine ». Comme avec tout livre de recettes, le cuisinier doit savoir ce qu’il veut préparer et ce qu’il vise comme résultat, s’adapter à la saison, ne pas se tromper de produits ( tout est dans la qualité des produits) – et adapter les proportions au nombre de convives. Avec la CSRD, l’entreprise doit avant tout réfléchir à ses priorités et à ses objectifs de développement, évaluer ses Impacts, ses Risques et ses Opportunités (IRO) en matière de durabilité.
L’enjeu donc est moins réglementaire qu’opérationnel et stratégique : au plan opératoire, grâce à cette approche, les équipes Risques, Finances et RSE doivent désormais formaliser leur coopération, le faire avec le soutien technique des professionnels du chiffre, de l’impact et de l’investissement, car c’est bien la cohérence des rapports et des indicateurs qui est recherchée.
Au plan politique, c’est aux administrateurs des institutions de déterminer le niveau d’ambition des orientations proposées par les directions générales, puis aux équipes techniques de les décliner (en respectant la séparation des fonctions).
A titre d’exemple, dans le champ de l’investissement responsable, chez Insti7, nous nous appuyons sur la réglementation pour soumettre ces questions extra-financières à la décision des directions générales et des instances. En effet, comme pour Solvabilité II, parce que la durabilité s’inscrit désormais dans le cadre de la gestion des risques et de la gouvernance assurantielle, il nous semble nécessaire d’en faire un sujet de formation des administrateurs, et pourquoi pas de réflexion plus fondamentale sur la raison d’être et le modèle des institutions qu’ils gouvernent – cela dans l’intérêt strict des assurés.
Caroline SELVA, Directrice de la Fondation OCIRP
(Voir la présentation OCIRP téléchargeable en fin d’article)
Les enjeux de la CSRD pour l’OCIRP
En ce qui concerne l’approche de l’impact social, au niveau de l’OCIRP, la CSRD représente moins une contrainte qu’une opportunité. En effet, l’Union OCIRP met en œuvre l’approche de double matérialité depuis son origine. Marie-Anne Montchamp a rappelé que le projet stratégique de l’OCIRP intégrait l’esprit de la CSRD, notamment en ce qui concerne la recherche de l’impact social et plus encore l’apport de la preuve de cet impact. Toutes les composantes de l’OCIRP, toutes ses directions et tous ses services sont mobilisés pour la recherche de la double matérialité. C’est la raison pour laquelle nous avons approfondi ce sujet avec la direction financière pour apporter la preuve de cet impact à travers notre allocation stratégique d’actifs.
Plusieurs sujets sont apparus dans cette démarche. L’impact de l’OCIRP doit venir soutenir la vie autonome de nos assurés et de leur écosystème. Nous devons en apporter la preuve aux entreprises, aux branches. La question de notre allocation stratégique d’actifs est encore plus prégnante, car nous investissons l’argent de nos assurés. Nous investissons dans des fonds d’investissement à impact. Nous avons cherché à mesurer objectivement la manière dont l’investissement dans ces fonds avait un impact social et environnemental et en particulier soutenait un impact au service de l’autonomie, conformément à l’engagement de l’OCIRP. Ceci dans une approche systémique : nous recherchons l’impact social pour nos assurés mais aussi pour leur écosystème et la société en général.
Cette volonté nous conduit à des investissements directs en faveur de la vie autonome des actifs et de leur famille et à expérimenter le système de notation AutonomiAH, qui produit un indice et qui nous permettra d’assurer, comme l’impose la CSRD, un haut niveau de fiabilité et de transparence en matière de reporting et de preuve de nos investissements à impact.
Notre enjeu est de définir la limite de tolérance d’un rendement financier moindre, par rapport au rendement moyen de la classe d’actifs considérée, sous réserve d’un impact social autonomie garanti, mesurable et évalué en continu.
Le système de notation AutonomiAH
Le système de notation AutonomiAH a été construit par les parties prenantes de l’écosystème de l’autonomie (offreurs de biens et services privés et publics, investisseurs, territoires – conseils départementaux et autres collectivités territoriales – associations diverses et bénéficiaires).
Le système de notation AutonomiAH repose sur trois piliers : un référentiel, une méthode et des garanties et une méthode de notation.
Le référentiel, régulièrement challengé, s’appuie sur des sources qui font l’objet d’un consensus entre les parties prenantes : Conseil de la CNSA sur l’approche domiciliaire (être bien chez soi) ou le financement, la Haute Autorité de Santé et d’autres sources autour du travail, du travail social, notamment les partenaires sociaux. Ce référentiel interroge et garantit des grandes lignes comme l’égalité des droits et des chances, le bien vivre chez soi et la liberté de choix, évalués par des indicateurs spécifiques. Un autre axe important est la prise en compte des enjeux de transition vers la garantie de bien vivre chez soi tout au long de la vie. Le référentiel adopte une approche systémique, intégrant par exemple l’impact des politiques publiques et les risques sectoriels, pour guider les choix d’investissement.
Le deuxième pilier d’AutonomieAH est la méthode qui garantit le système de notation. Il s’agit d’une innovation. C’est une méthode d’évaluation collégiale qui mobilise les intéressés et leurs représentants pour sélectionner et évaluer les projets et leur impact. Cette collégialité est un élément d’indépendance de l’évaluation. Les indicateurs sont également co-construits par et pour les intéressés (références régulièrement challengées par un comité des parties prenantes et mises à jour).
Troisième pilier, la méthode de notation. Une approche statistique permet d’attribuer un nombre de galets à chaque critère. Cette méthode permet d’éviter les biais liés à l’absence de prise en compte des risques systémiques. L’indice AutonomiAH agrège de façon indépendante ces indicateurs en un indicateur composite.
Le comité des parties prenantes est représentatif, ce qui est à souligner.
L’intérêt de ce système de notation est la possibilité d’intégrer notre stratégie propre, notre référentiel « Engagés pour l’autonomie », nos enjeux forts en matière de dialogue social, d’impact pour nos assurés, pour nos collaborateurs. C’est tout l’intérêt de ce système de notation, qui, à mon sens, peut être utile non seulement aux institutions de prévoyance mais aussi à d’autres entreprises.
Ces piliers produisent un indice, qui nous permet de décider de l’allocation de 15 millions d’euros d’investissements en faveur de l’impact social « autonomie ».
François GRINDA, Directeur général délégué finances, risques, OCIRP
(Voir la présentation OCIRP téléchargeable en fin d’article)
Système de notation AutonomiAH : méthode statistique
Notre système de notation s’exprime à travers un nombre de galets. Dans l’exemple de notation qui vous est présenté, sur le thème de l’« Inclusion en entreprise et handicap », le critère est la proportion de travailleurs handicapés dans l’entreprise. La notation va de 1 galet (moins de 3%) à 5 galets (plus de 80%). Ces critères sont décidés par l’ensemble des parties prenantes, qui décident donc du niveau d’exigence. Plusieurs critères sont élaborés (aspirations et besoins, qualité du service rendu, qualité technique) et évalués et permettent l’évaluation de l’impact social. Sur la base de l’évaluation des différents projets, nous pourrons déterminer l’impact global des projets.
La Direction de l’OCIRP a demandé à son Conseil d’administration la possibilité d’allouer 15 millions d’euros à des investissements directs à impact social dans le domaine de l’autonomie. Pour aller plus loin que la CSRD, nous sommes prêts à avoir un rendement financier qui n’est pas du même niveau que celui qu’il atteindrait en l’absence d’impact social. Pour lancer cette démarche, nous avons donc choisi une attitude volontariste. Sur cette part limitée de nos investissements, nous avons accepté de réduire la rentabilité attendue. Il faut préciser que la notation AutonomiAH procède d’une approche de durabilité des investissements. C’est un élément de réassurance. Ce système permet de prouver l’impact social des investissements avec des marqueurs sur lesquels l’OCIRP a la main, sans dépendre des agences de notation.
Jean-Luc BILHOU-NABERA, membre du Comité fédéral CFE-CGC Assurance
Au sein du Comité fédéral CFE-CGC Assurance, nous avons l’intuition que beaucoup d’éléments de la CSRD sont à utiliser. Pour moi, le rapport de durabilité évoque cette citation d’Ésope, il y a 2400 ans dans laquelle il parlait de la langue comme étant la pire et la meilleure de choses.
On peut trouver dans la CSRD d’énormes contraintes, impliquant beaucoup de moyens et de compétences. 50 000 entreprises sont concernées en Europe et 7 000 en France, les seuils étant assez bas (sociétés ayant plus de 50 M d’euros de CA et plus 500 salariés). Si la vocation de la CSRD est de changer l’économie, cela passe aujourd’hui par une focalisation sur les entreprises. Un effort très important de compréhension et d’appropriation de la CSRD est nécessaire. On part des objectifs ESG du Green Deal européen, qui vise l’efficacité d’une transition des entreprises, pour arriver aux modalités du rapport de durabilité prévu par la CSRD. Madame Metz a tempéré les 1 000 données évoquées par la directive en précisant que 400 données seulement s’appliqueraient aux activités assurantielles. Il faut aussi considérer que les 2/3 d’entre elles sont de nature qualitative. La CSRD exige des capacités rédactionnelles, des capacités de scénarisation de la pertinence des efforts déployés par les entreprises et pas simplement un recueil de données et la mise en forme de chiffres.
Comme l’a dit Delphine Lalu, la CSRD oblige toutes les parties prenantes de l’entreprise à se poser des questions. Parmi les normes émises, certaines contiennent à mon sens des pépites à exploiter par les organisations syndicales. Ces normes vont être complétées par des normes sectorielles – d’ici 2028 pour l’assurance, comme cela a été mentionné. Des standards et des outils ont aussi été construits à destination du contrôle et de l’évaluation par les vérificateurs. Les rapports de durabilité publiés par les entreprises devront obligatoirement être audités, soit par le commissaire aux comptes, soit par un organisme tiers indépendant, selon la volonté de chaque Etat membre de l’UE.
La volonté initiale est bien de rediriger les flux d’investissement vers des projets en accord avec le développement durable visé par l’UE. Le reporting dit extra-financer – ou de durabilité – existe depuis 2001. Delphine Lalu a rappelé les particularités qui s’appliquent aux entreprises en épargne vie. En dépit des aspects positifs, j’ai tout de même été surpris par le dernier rapport de l’ACPR sur la loi énergie-climat. L’ACPR a analysé le reporting de 178 organismes d’assurance, dont 65 faisant moins de 500 millions d’euros de bilan. Les conclusions ne sont pas très probantes. Les entreprises n’ont pas nécessairement compris les normes, elles n’ont pas fourni les données nécessaires et l’ont fait dans des délais inacceptables. C’est l’aspect le plus négatif. Des vérificateurs, des contrôleurs, vont s’approprier les normes et diffuser une certaine image des organismes à une époque où les stratégies d’influence ont une importance majeure. La CSRD est censée favoriser la transparence et la comparaison des reportings entre les entreprises grâce à un langage commun. C’est donc à nous d’apprendre l’esperanto de la durabilité.
Dans un second temps, l’UE va mettre en place le Europe Single Access Point (ESAP). L’ESAP consolidera toutes les données des rapports de durabilité des entreprises européennes concernées sur une plateforme centralisée opérée par la European Security Market Authority (ESMA). Il est difficile de dire que nous ne sommes pas tous sous contrôle. Ce sont les entreprises qui sont concernées. J’aurais souhaité que l’Etat s’applique à lui-même ce qu’il souhaite appliquer aux entreprises à travers la CSRD.
Les sémantiques et la perception du bien fondé d’une action sont très variables selon les cultures, même au sein de l’Europe. Dans le domaine comptable, il a fallu presque trente ans pour parvenir à des formats permettant aux financiers d’apprécier les fondamentaux de l’entreprise dans des secteurs et sur des marchés différents.
Comme le disait Marie-Anne Montchamp, la CSRD est un pari, avec un très bel objectif, mais un pari risqué. D’autant que ce pari s’inscrit dans un contexte international, dans lequel deux acteurs jouent un rôle important : l’International Sustainability Standard Board (ISSB) et la Securities Exchange Commission (SEC). Ces deux acteurs nord-américains sont moins ambitieux, car ils se concentrent sur la partie environnementale – à l’exclusion des aspects sociaux et de gouvernance – et ignorent la double matérialité. Mais l’ISBB applique tout de même 77 standards sectoriels. Le travail est déjà très approfondi. La question se pose : le rapport de durabilité sera-t-il le même pour les entreprises globalisées ? Le marché des capitaux est un marché global. Sur ce sujet, l’association française Europe Finance Régulation dispose d’informations pertinentes.
Comment agir au niveau européen pour que la CSRD soit aussi un avantage compétitif ? Ursula van der Leyen a déclaré en 2029 que le Green Deal serait la priorité de sa mandature et qu’elle le positionnait comme le « Europe’s man on the moon ». Personnellement, je considère que l’Europe a aussi positionné sur une rente de situation les sociétés d’audit et de conseil aux entreprises.
La CSRD est riche d’opportunités. Les syndicats doivent s’en approprier les composantes pour faire évoluer la démocratie sociale en Europe et prendre un temps d’avance dans leur pratique de défense des travailleurs salariés et des entreprises qui les emploient.
Madame Metz l’a montré, les normes sociales et la norme de gouvernance recèlent des trésors d’opportunité. Le rapport de durabilité constitue une opportunité et même une obligation pour les partenaires sociaux de monter en compétence et de s’approprier les enjeux de la transition, de challenger les décisions stratégiques de l’entreprise. Je rejoins sur ce point le rapport du cabinet Deloitte pour l’ANDRH du 29 février 2024 sur l’obligation de consulter le CSE et le besoin d’associer les administrateurs salariés : c’est un levier du dialogue social.
Dans un contexte où la démocratie sociale est bousculée par les pouvoirs publics, l’entreprise est un des remparts sociaux pour la démocratie, pour une société en recomposition, en recherche de sens et de confiance dans les institutions. Nous pensons, à la Fédération CFE-CGC Assurance, que les syndicats, et le nôtre en premier lieu, seraient mal avertis et coupables de ne pas utiliser les leviers du rapport de durabilité dans leur politique de négociation et d’influence. La CSRD offre l’occasion de faire émerger des dynamiques porteuses de sens sur l’orientation et l’objet social de l’entreprise, le chemin de ses transformations, son adaptation au contexte, ses pratiques, ses impacts sociétaux. L’opportunité de fédérer les forces vives dans une approche de co-construction du rapport de durabilité avec la direction, ouvrant à la voie de la cogestion dans sa déclinaison opérationnelle et dans la communication qui en découlera.
Cogestion également dans l’anticipation et la préparation de l’impact de la transition environnementale sur les compétences, les formations, les savoir-faire et savoir-être des parties prenantes (salariés, administrateurs et tous les maillons de la chaîne de valeur et de la gouvernance des entreprises).
Le triptyque est ainsi posé pour les syndicats : négociation, influence et cogestion. C’est bien ce triptyque qui structure depuis des décennies, dans les pays du Nord et en Allemagne, les modus operandi de la démocratie sociale.
J’en viens à la gouvernance des Groupes de Protection Sociale (GPS). J’ai découvert la teneur et l’ampleur de la CSRD à l’occasion du certificat des administrateurs de sociétés de Sciences Po. La responsabilité des administrateurs, les besoins de formation, de compétences individuelles et collectives, le recrutement et la composition des conseils d’administration ont été évoquées à plusieurs reprises. Cette intelligence collective fait partie de ce que la CSRD va nous imposer. Les GPS doivent travailler collectivement au sein des conseils sur la manière dont ils sont spécifiquement impactés sur les quatre standards sociaux. Nous avons beaucoup de choses à dire sur ces sujets. Les administrateurs se sont beaucoup focalisés ces dernières années sur les problématiques de solvabilité. Il est temps de revenir au cœur de la stratégie des entreprises.
Les négociations de révision de l’ANI du 8 juillet 2009, sur la gouvernance des GPS, sont en cours. Les impacts de la CSRD sur les notions de qualification, de compétence, d’honorabilité des administrateurs sont très importants. Ils souhaitable d’envisager que les conseils d’administration soient dotés d’un budget pour faire appel à des prestataires externes d’expertise et de contre-expertise sur les sujets de leur responsabilité.
Pour conclure, je voudrais souligner qu’au moment où le recrutement syndical semble plus difficile qu’auparavant, en particulier auprès des plus jeunes salariés, la formation, la vulgarisation sur les outils qui alignent les stratégies de financement et l’impact sont des moyens incomparables d’échange et de dialogue social sur le recherche du sens au travail, dans une dynamique de co-construction collective.
Conclusion de Marie-Anne MONTCHAMP, Directrice générale de l’OCIRP
Merci à toutes et à tous pour votre présence, vos interventions et votre contribution à la réussite de ce LAB OCIRP Autonomie.
Les contributions, très riches, montrent que la CSRD nous offre l’occasion de réinvestir en profondeur les vertus du paritarisme de gestion. Je souscris à ce que Jean-Luc BILHOU-NABERA a souligné à la fin de son intervention.
A l’approche des élections européennes, nous devons je crois avoir à l’esprit la défense du modèle économique européen. Il faut trouver une voie de différenciation. Cette voie est difficile et, je le répète, il s’agit d’un pari. Mais je suis convaincue que c’est par cette différenciation liée à la double matérialité, en particulier dans le champ de l’impact social, que le modèle européen pourra, sur la longue période, s’affirmer dans la compétition internationale.