Quel regard portez-vous sur le Laroque de l’autonomie lancé par Emmanuel Macron ?
C’est une concertation de plus, et je dois dire qu’avec toute l’amitié que j’ai pour les deux responsables de cette concertation, Olivier Véran et Brigitte Bourguignon, la grande majorité des Français attend cette loi et commence à être un peu lassée des rapports et concertations.
Je crois que, s’il est important de faire un dernier tour de table, il est surtout urgent de diffuser avec précision et substance le contenu de cette loi. En effet, l’attente est incroyablement forte, et plus encore au vu des leçons de la Covid : épuisement des soignants, difficultés diverses des EHPAD, travail des structures d’aides à domicile au sein desquelles les professionnels perçoivent un très faible salaire et restent plus de 10 ans au SMIC… Cela est inacceptable.
La Covid a surligné toutes ces questions, ce qui me laisse espérer qu’on ne pourra pas longtemps différer cette loi Grand Age, et la concertation en cours se saisira probablement des enseignements de la COVID.
Je ne me défausse pas du fait que cette loi n’ait pas été réalisée lorsque j’étais ministre. Ce devait être le cas, et la réflexion était organisée autour de deux axes : le domicile et la prévention d’une part, et les établissements et le grand âge d’autre part. La deuxième partie de la loi n’a jamais été réalisée. Je le regrette très clairement pour les personnes âgées, pour mon équipe ministérielle et pour le quinquennat de François Hollande, puisque cette loi aurait constitué un totem social majeur, et je crois qu’Emmanuel Macron considèrera que cela peut aujourd’hui être un totem social pour ce quinquennat, et que la loi doit être engagée. La transition démographique et donc la loi Grand Age, c’est maintenant.
Quelle est votre vision sur la future loi Autonomie, et sur son financement ?
Le contenu de la loi et la question du financement sont étroitement liés. Cette loi a été tellement tardive qu’elle doit être soutenue par un financement suffisant, que l’on estime entre 4 et 6 milliards d’euros. S’il est inférieur, nous ne pourrons pas faire tout ce qui est nécessaire. La loi doit être massive c’est-à-dire qu’elle ne doit pas se faire par épisodes. Or, il semble que le financement de cette loi pourrait être égal à 1 milliard par an pendant six ans, ce qui signifie que pendant six ans, cette loi demeurerait incomplète et continuerait d’être attendue. C’est une mauvaise attitude parce que comme j’ai l’habitude de le dire, la loi Grand Age est la seule loi urgente. Chaque année différée, ce sont des dizaines de milliers de grands âgés et de familles qui n’en profiteront pas. C’est assez terrible et c’est un point tout à fait essentiel : je souhaite que cette loi soit compacte, substantielle, tardive mais massive.
Deuxième point, cette loi doit répondre aux excellents rapports qui ont été publiés dans ces derniers mois. En ce sens, je salue la qualité des rapports de Monsieur Libault et de Madame El Khomri, extrêmement précis : pas une mesure écrite n’a été produite sans une véritable concertation et un accord des professions. Un volet important concerne le domicile. Un autre, majeur, porte sur les carrières liées à l’âge, occupées majoritairement par des femmes, qui sont incroyablement dévouées.
Pendant mes deux ans au ministère, je consacrais a minima une journée entière par semaine à la visite d’EHPAD, et jamais dans ma vie professionnelle je n’ai vu des équipes aussi engagées dans leur métier, enthousiastes et batailleuses, alors même que leur salaire était tout à fait insuffisant.
Il y a donc un enjeu dominant autour de la valorisation des soignants. J’utilise le mot soignant parce qu’une aide à domicile est un soignant. Devra être d’ailleurs considérée dans cette réforme la perméabilité entre le domaine du soin et celui de l’attention, ce dernier devant être accepté dans le champ des soignants, afin de permettre une évolution des carrières.
Se pose également la question de l’évolution des EHPAD. A l’heure actuelle, il n’existe pas de degré dans la nécessaire médicalisation des EHPAD. Or, il est certain que tous les EHPAD n’ont pas besoin de la même présence médicale ou soignante. Pour ma part, je souhaiterais la mise en place de responsabilités de service public connues et graduelles selon l’état de santé des résidents . Tous les EHPAD doivent répondre à ces obligations de service public, certains doivent être nettement médicalisés, et je pense en particulier à la présence de nuit. Actuellement, dans l’immense majorité des cas, il n’y a pas d’infirmière la nuit. Très concrètement, cela veut dire que c’est une aide-soignante qui décide si le résident en difficulté doit rester en EHPAD, ou doit être transféré par ambulance à l’hôpital, voire en réanimation. Cela constitue une immense responsabilité face à laquelle l’aide-soignante est dépourvue, d’autant plus que la nuit la plupart des EHPAD ne dispose même pas d’une bouteille d’oxygène. S’il n’y a pas d’infirmière, l’aide-soignante ne peut pas non plus accéder aux médicaments dangereux.
Dans ce cadre, je souhaiterais que soient réalisées des études pour savoir si, lors de la période Covid, les résidents ayant été transférés aux urgences ont bénéficié d’une plus importante chance de survie que ceux qui sont restés en EHPAD. Je crains qu’il y ait très peu de grands âgés qui soient retournés dans leur EHPAD guéris. Voilà des questions considérables que cette loi doit prendre en compte.
Cette loi doit rattraper le retard que les différents gouvernements ont pris. C’est un enjeu sociétal considérable. Les âgés et grands âgés vont être de plus en plus nombreux, la génération des baby boomers s’approchant du grand âge, avec ses exigences et ses besoins, en particulier un besoin de dignité dans les conditions de vie et envers ceux qui s’en occupent.
Quelles sont selon vous les erreurs à ne pas commettre dans le cadre du financement de la dépendance ?
L’erreur principale consisterait à attribuer un financement qui ne soit pas du tout à la hauteur des besoins.
Je pense qu’il faut envisager une pluralité de sources de financement, parmi lesquelles les assurances complémentaires. Par ailleurs, alors que nous avons gagné, dans le dernier demi-siècle, vingt ans d’espérance de vie, je pense qu’une des premières et plus logiques sources de financement est de travailler plus longtemps. En 1945, l’espérance de vie était de 65 ans et l’âge de la retraite a été fixé à 65 ans. Aujourd’hui, l’espérance de vie a augmenté de vingt ans. Dès lors, je ne dis pas qu’il faut travailler vingt ans de plus, mais je ne serais pas choquée de travailler deux ans de plus. La retraite coûte aujourd’hui très cher, et je travaillerais volontiers plus longtemps pour ne pas faire peser ma longévité sur les plus jeunes.
Deuxième point, des montages techniques peuvent être avancés, en ponctionnant les ressources de la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale par exemple : tous sont bons à prendre, y compris une augmentation des cotisations ou des assurances spécifiques publiques. Le vieillissement suit le même principe que la santé : celui qui vivra le plus longtemps cotisera plus longtemps et en bénéficiera le plus longtemps, ce sont les règles de la sécurité sociale. En définitive, les conséquences du vieillissement sont une maladie comme les autres : le revers de la médaille de la longévité est pour l’instant, sans traitement curatif ou préventif, l’apparition de troubles et pathologies cognitives telles qu’Alzheimer, entre autres.
J’espère que la réforme des retraites pourra être menée en parallèle ou peu après la réforme de la dépendance, parce que les deux sont intimement liées.
Je ne m’attache pas aux chiffres ni aux modalités administratives. L’enjeu est d’accepter de cotiser un peu plus et un peu plus longtemps, sous la forme que l’on décidera, mais aussi de s’assurer que les personnes soient traitées dignement jusqu’à la fin de leur vie. Il est aussi important de dire que le grand vieillissement ne doit pas être appréhendé comme une marchandise comme les autres. Le sujet ne doit pas être aux mains de portefeuille d’actions. Tout cela doit relever d’un esprit public majeur.