Manon Moncoq, anthropologue du funéraire et de l’environnement et consultante
Les pratiques funéraires vont connaitre de grands bouleversements.
En parallèle d’une thèse en anthropologie sur les funérailles écologiques, vous avez développé une activité de consultante indépendante. Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre activité ?
Depuis ma rencontre avec la momie du Louvre à mes quatre ans, j’ai toujours été intéressée par la façon dont les sociétés traitaient et géraient leurs défunts. L’anthropologie, qui étudie l’Homme en société, notamment à travers la diversité des cultures, me paraissait ainsi le métier idéal.
Lorsque j’ai commencé à étudier à l’Université, j’ai souhaité m’intéresser, avant toute chose, à la façon dont ma propre société prenait en charge ses défunts. J’ai ainsi dédié l’ensemble de mon parcours universitaire à l’étude du secteur funéraire français (métier de conseiller funéraire, travail en crématorium et rite de crémation, funérailles écologiques et modes de sépulture alternatifs) qui fut appuyée par de nombreux stages en pompes funèbres et l’obtention du diplôme de conseillère funéraire.
Soucieuse de rendre utiles et concrètes mes connaissances, qui sont à la fois pratiques et théoriques, j’ai décidé, en parallèle de mon doctorat, de développer mon activité de consultante indépendante. J’accompagne ainsi différents acteurs du funéraire (pompes funèbres, assurances, associations, collectivités territoriales, etc.) dans le développement d’offres adaptées aux récentes, ou prochaines, attentes des futurs défunts et de leur famille.
La crémation tend aujourd’hui à s’imposer face à l’inhumation en France. Quelles sont les grandes autres évolutions funéraires de ces dernières décennies ?
Depuis la loi sur la liberté des funérailles de 1887, deux modes de sépulture sont autorisés en France : l’inhumation et la crémation. Si cette dernière pratique est restée minoritaire jusqu’au début des années 2000, elle concerne pourtant aujourd’hui plus d’un décès sur trois et près de la moitié des convois à Paris. Cette progression, qui tend à s’accélérer, montre l’importance des réponses qu’a apportées la crémation face à de nouvelles attentes contemporaines, et ce sous plusieurs aspects : notamment la volonté de ne plus imposer aux proches la visite et l’entretien d’une tombe, de s’orienter vers des pratiques dites plus écologiques ou davantage en accord avec ses propres convictions philosophiques.
Par ailleurs, depuis le développement de la médicalisation de la fin de vie dans les années quatre-vingt, le mourant a définitivement quitté son domicile pour mourir à l’hôpital. Les maisons funéraires se sont ainsi développées pour remplacer les proches, et la communauté, qui veillaient jusque-là leur défunt au domicile. C’est à ce moment-là qu’est née une prestation de service « au mort », à travers la mise en place de nouvelles techniques de traitement et gestion des défunts, tels que les soins de conservation par exemple. Ces bouleversements ont répondu à une certaine volonté de mise à distance de la mort et des morts, du quotidien et de la société dans sa globalité, qui est d’ailleurs toujours d’actualité.
Plus récemment, si les rituels et les pratiques funéraires offrent une réponse, dans un contexte historico-culturel donné, à la fois technique (en prenant en charge le corps) et sociétale (en donnant un sens à la nouvelle absence et en reformant le groupe) lors d’une disparition, ils évoluent aussi selon les crises que la société traverse, comme ce que la France, et le monde, ont vécu avec l’épidémie du Covid-19.
Les consignes sanitaires liées à cette épidémie, ayant pour but de ne pas mettre en péril la vie des survivants, ont véritablement bouleversé les pratiques : certaines familles ont été dépossédées de leur défunt lorsqu’une mise en bière immédiate a été effectuée, d’autres n’ont pas pu assister physiquement à la cérémonie ni même se réunir pour accompagner la crémation. Mais l’on a pu voir la mise en place, à la fois par les professionnels et les familles, de nouvelles solutions : des cérémonies ont été retranscrites en direct, organisées à distance voire reprogrammées, des inhumations ont parfois même été réalisées en caveau provisoire.
Vous rédigez aujourd’hui une thèse sur les funérailles écologiques, comment voyez-vous les pratiques funéraires à venir ?
Depuis une vingtaine d’années, on voit apparaître en occident différentes innovations funéraires, présentées comme plus écologiques et économiques que les funérailles dites traditionnelles : cercueil en carton, capsule funéraire biodégradable, aquamation, promession, humusation, cimetière naturel, etc.
Ces innovations (certaines sont légales, d’autres pas encore) répondent à de nouveaux besoins. La société doit, d’une part, se préparer à prendre en charge un nombre grandissant de décès annuels (or les cimetières sont de plus en plus saturés), et d’autre part, proposer des offres compatibles avec les attentes des futurs défunts et de leur famille, qui elles, évoluent.
Aujourd’hui, de plus en plus de personnes souhaitent anticiper leur décès (notamment avec les contrats obsèques) et surtout des funérailles qui leur ressemblent ! Ainsi, à l’heure où l’écologie est au cœur des préoccupations, les funérailles écologiques permettent de faire correspondre, pour une partie de la population, croyances, convictions, idéologies et rite funéraire.
On assiste par ailleurs à un réel intérêt pour la digitalisation des pratiques funéraires, notamment avec la place que jouent les réseaux sociaux et les plateformes spécialisées dans l’hommage aux défunts, ou encore le développement des QR code sur les tombes et des chatbots. L’épidémie du Covid-19 a peut-être permis par ailleurs l’utilisation plus régulière des retransmissions des cérémonies pour les proches ne pouvant pas se déplacer par exemple.
Je pense qu’en cela, les pratiques funéraires vont connaitre de grands bouleversements dans les décennies à venir. De plus en plus d’acteurs du funéraire s’y intéressent déjà. C’est notamment le cas des collectivités territoriales qui mettent en place des cimetières naturels, ou encore des coopératives funéraires qui proposent des alternatives aux funérailles traditionnelles.
Les pratiques funéraires sont à réinventer en permanence. Il est primordial d’anticiper les attentes des futurs défunts et de leur famille pour que cette dernière étape sur terre prenne tout son sens et surtout, que chacun puisse appréhender son départ le plus sereinement possible.
Manon MONCOQ. Chercheure, consultante, intervenante
www.manonmoncoq.com
manon.moncoq@gmail.com