Marie-Anne Montchamp, Présidente du Conseil de la CNSA, Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie

Aux côtés de la solidarité nationale, les assureurs sont des « (ap)porteurs de solutions.

Députée du Val de Marne de 2002 à 2004, puis de 2005 à 2010, membre de la commission des finances, Marie-Anne Montchamp a été secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et a porté la loi Handicap du 11 février 2005. De 2010 à 2012, elle est secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale. En 2017, elle est élue présidente du Conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). En 2020, le législateur confie à la CNSA la nouvelle branche de la Sécurité sociale consacrée à l’autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.

Quelle est votre vision de la nouvelle branche autonomie, 5ème branche de protection sociale confiée à la CNSA ?

La 5ème branche autonomie vient enrichir notre système de protection sociale d’une nouvelle ambition : permettre la vie autonome et pleinement citoyenne de nos concitoyens qui avancent en âge ou sont en situation de handicap. Le législateur a voulu, alors que la crise Covid a mis nos équilibres économiques, sanitaires et sociaux sous tension, que les plus fragiles soient soutenus par la mobilisation de la solidarité nationale au sein de la Sécurité sociale.

Cette nouvelle branche aura un champ très large, puisqu’elle couvrira les personnes âgées et les personnes en situation de handicap.

En effet, toute personne doit pouvoir être accompagnée et vivre selon ses aspirations et ses choix en égalité des droits et des chances quelle que soit sa situation – âge ou handicap. Il en va de la reconnaissance de sa citoyenneté. La crise Covid a été un révélateur puissant des fragilités sociales liées à la perte d’autonomie mais nous savons tous que l’allongement de la durée de la vie appelle à transformer notre conception même de la protection sociale

Parmi les principes fondateurs de la branche, celui de la convergence des politiques de l’âge et du handicap est majeur : il implique que les critères « situationnels » supplantent progressivement les critères d’âge. Cela signifie que les droits doivent progressivement s’aligner pour renforcer la compensation pour tous. Aujourd’hui encore, par exemple, perdre la vue avant ou après 60 ans n’emporte pas les mêmes droits, les mêmes aides et donc les mêmes chances…

Le Conseil de la CNSA a proposé en mars 2021 une trajectoire de financement pour la branche Autonomie. Pouvez-vous nous la rappeler ?

La loi de financement de la Sécurité sociale, dans son article 33, dispose que « le conseil de la CNSA formule un avis et des recommandations sur les pistes de financement de la politique de soutien à l’autonomie. (…) ».

Nous nous sommes donc mis à la tâche en prenant appui sur les rapports Libault, El Khomri, HCFEA, Vachey, Dufeu-Schubert et Collectif handicaps.

Le conseil a ainsi défini un système de financement pour la période 2022-2030 fondé sur les orientations définies par ses travaux prospectifs :

  • L’égalité des droits et des chances tout au long de la vie ;
  • La convergence des politiques à destination des personnes âgées et des personnes en situation de handicap ;
  • Le modèle domiciliaire d’accompagnement des personnes.

Ce système de financement propose 5 compartiments : la mobilisation de toutes les politiques publiques pour l’autonomie par la mise en œuvre d’un agenda Autonomie 2030, des modalités de pilotage inter-branche pour renforcer la cohérence au sein même de la Sécurité sociale, la mobilisation de la solidarité nationale et son pilotage territorial par la création d’une CSG Autonomie (fraction de 0,28pts affectée à la branche), la création d’une contribution personnelle à la vie autonome permettant d’en finir avec le reste à charge en EHPAD et enfin le pilotage partagé des financeurs supplémentaires : partenaires de la réponse pour la vie autonome, ils s’inscrivent dans les enjeux de la société de la longévité et de l’autonomie des personnes. 

Ainsi, selon ce modèle, l’augmentation des financements publics sera affectée en priorité aux dépenses de compensation pour l’autonomie. Il s’agit de dépenses d’assurance maladie (augmentation du nombre de personnels, augmentation de ces personnels) et des dépenses de la branche diligentées aux ARS et aux concours aux départements, chefs de file des politiques de l’autonomie sur leur territoire. En établissement, la solidarité nationale solvabilisera la part « autonomie » (aujourd’hui « dépendance ») limitant le reste à charge de la personne à ses dépenses de gîte et de couvert.

Les financements supplémentaires restent nécessaires au-delà du financement par la solidarité nationale. Ils doivent être encouragés et coordonnés par un pilotage partagé.

La place de l’assurance dans le financement de la perte d’autonomie est, comme l’exprime Pierre Mayeur, « une question qui connaît déjà sa réponse : qu’on le veuille ou non, l’assurance est et sera présente ». C’est la question de sa place, aux côtés de la solidarité nationale et au regard de l’intérêt général, que le conseil de la CNSA propose de redéfinir en sortant d’une vision « supplétive » des financements publics selon le modèle existant en matière d’assurance santé entre l’assurance maladie et les organismes complémentaires.

Les parties prenantes du conseil de la CNSA, en proposant la suppression de la notion de reste à charge et la mise en place d’une contribution personnelle pour la vie quotidienne, déplacent la nature des enjeux : les assureurs deviennent de facto des financeurs au sens de la loi ASV pour la conférence des financeurs qui les désigne comme des « (ap)porteurs de solutions » dans des domaines où leur rôle peut être décisif ; je pense bien sûr en particulier à la question de la prévention, de l’assistance, du soutien aux aidants… cette liste n’est bien sûr pas exhaustive !

Le système de financement que soutiennent les parties prenantes du conseil de la CNSA permet de donner à la 5ème branche et plus largement à la politique de soutien à l’autonomie, les ressources nécessaires en 2030, face aux défis de la société de la longévité et aux enjeux de la vie autonome.

La CNSA est également attachée à la collaboration entre parties prenantes s’agissant des proches aidants, notamment ceux qui sont en activité professionnelle.

La politique de l’autonomie a cela de particulier qu’elle appelle un haut niveau de coopération des acteurs entre eux et la prise en compte des aspirations de la personne avec ceux qui l’entourent, ses aidants. C’est ce qui a conduit le législateur à retenir pour la branche le modèle de gouvernance de la CNSA. Son conseil, par sa composition originale dans la Sécurité sociale, garantit l’expression de toutes les parties prenantes. Je pense qu’il conviendra, aux côtés des représentants des aidants professionnels qui y siègent, de donner une juste place aux proches aidants.

Le Conseil de la CNSA prône aussi une approche domiciliaire de l’autonomie. De quoi s’agit-il ?

L’approche domiciliaire définie par le conseil propose une transformation en profondeur de notre modèle d’accompagnement de la personne. Le principe est simple : elle doit vivre chez elle quel que soit son âge, sa situation de handicap ou de santé. « Vivre chez soi » signifie rester soi-même, voir ses aspirations, ses préférences, ses choix, reconnus et respectés. Le domicile de la personne âgée ne doit pas se transformer en EHPAD ou en service hospitalier. Les règles du savoir-vivre, telles que la personne les définit, s’y appliquent. Les professionnels et les aidants y sont invités. Ces notions toutes simples ne sauraient prévaloir dans le seul domicile de la personne mais en tout lieu où elle réside, jusqu’en EHPAD.

Cela nécessite une profonde évolution de nos représentations du soutien à la vie autonome et bien sûr un accompagnement de la communauté du prendre soin, professionnels et aidants…

Dans votre ouvrage Tout citoyen est une personne (Ramsay, 2020), vous plaidez pour une protection sociale à la fois solidaire et personnaliste. Comment appliquer cette vision à l’autonomie ?

C’est précisément la politique de l’autonomie qui a inspiré ma réflexion sur l’évolution de notre système de protection sociale. Il nous faut renforcer la confiance en sa capacité à apporter des réponses justes, attentives et durables à tous, face au grand âge ou à un accident de la naissance ou de la vie. Pour y parvenir, nous devons tenir la promesse de la 5ème branche autonomie : garantir ses équilibres par des ressources nouvelles, affectées, afin de faire face aux évolutions démographiques et aux besoins aujourd’hui non satisfaits (rémunération des personnels, compensation dans le champ du handicap, convergence) ; transformer ses modes d’intervention pour entrer dans une culture de la réponse à la personne plus que de la fabrique de solution.