Djamel SOUAMI, Président de l’UDAP, Directeur-Associé Micropole, Président du CTIP (2019 – 2020)
Photo : Philippe Chagnon, Cocktail Santé

Le collectif reste la solution la plus efficace et solide pour définir des droits sociaux.

En quoi la crise sanitaire actuelle démontre-t-elle la pertinence de la protection sociale collective et du dialogue social ?

Le bilan de l’année 2020, marquée par une pandémie mondiale et la crise économique qui en est la conséquence, est éloquent. Avec cette crise, la preuve a été apportée que le contrat collectif de protection sociale résultant du dialogue social est le meilleur moyen de protéger la santé des salariés, comme l’activité des entreprises.

Face à une situation aussi exceptionnelle que gravissime, les organismes paritaires de protection sociale ont fait la preuve de leur utilité économique et sociale : être présents aux côtés des salariés et des entreprises pour les aider à traverser les périodes les plus dures. En mobilisant 1,3 Md€ d’aides directes – en sus des services et prestations contractuels, bien sûr et des 400 M€ d’action sociale financés sur la période 2015-2019 – les organismes paritaires ont su conjuguer mutualisation du risque (le métier d’assureur) et solidarité (le plus des acteurs non-lucratifs à impact social).

Les pouvoirs publics commencent – enfin – à comprendre les vertus du contrat collectif. Les entreprises et les salariés n’avaient, eux, pas attendu cette crise pour plébisciter le contrat collectif pour la protection contre les aléas de la vie. Mais peu importe le retard de ceux qui nous gouvernent : une bonne nouvelle reste une bonne nouvelle. Le collectif a bien de l’avenir. En effet, le contrat collectif, innovation des partenaires sociaux désormais reprise par toutes les familles d’assureurs, et nous pouvons en être fiers, fait vivre une solidarité entre tous ceux qui y adhèrent.

Et cette solidarité prend racine dans la négociation collective. Cet échange, exigeant et vertueux, entre partenaires sociaux détermine un cadre équilibré et efficace dans lequel chacun se reconnaît et s’investit. Conçu par et pour les parties concernées, un contrat santé ou prévoyance collectif répond parfaitement aux besoins de l’entreprise et de ses salariés. Négocié et conclu au niveau de la branche ou de l’entreprise, il prend en compte les spécificités de la profession ainsi que les particularités de chaque métier, chaque entreprise, chaque contexte.

Nous avons donc entre nos mains, pour préparer demain, ces atouts précieux que sont :

1. le contrat collectif
2. la non-lucrativité
3. le dialogue social.

Ces atouts, en plus d’avoir fait la preuve de leur efficacité, apparaissent parfaitement en phase avec les aspirations de nos sociétés.

Quel rôle peut jouer la protection sociale complémentaire pour le « bien vieillir » ensemble et pour soutenir le couple aidant-aidé ? 

Les acteurs de la protection sociale paritaires ont bien compris que la dépendance allait devenir un sujet de préoccupation majeur et ce bien avant les annonces gouvernementales de 2020. De plus, le lien héréditaire avec les entreprises les a aidés à identifier de façon très précoce la situation des proches aidants.

L’urgence s’est accrue avec la crise sanitaire actuelle, qui a accentué, parfois de manière dramatique, l’isolement des aidants et la vulnérabilité des personnes âgées. Mais cette crise a aussi montré que la solidarité et le collectif étaient indispensables pour faire face aux difficultés. L’enjeu est désormais de savoir prolonger ce mouvement et d’apporter une réponse collective permettant à chaque citoyen de prendre sa juste place dans la société et d’être protégé si nécessaire. C’est ici que les acteurs de la protection sociale complémentaire, paritaires et mutualistes, ont un rôle à jouer. En effet, leur gouvernance et le caractère non lucratif leur ont donné une souplesse pour répondre aux problématiques posées par la crise sanitaire.

Concernant le couple aidant-aidé, mes convictions s’orientent autour de 2 axes :

  1. La pédagogie et le développement des services

Tout d’abord, le développement de services d’accompagnement innovants pour les aidants. Si ces services existent déjà, ils sont encore dispersés et peu connus. En effet, ces initiatives sont encore trop souvent des cas isolés de branches ou de grandes entreprises qui agissent par conviction. Il est bienvenu que le gouvernement place cet axe au cœur d’un débat national avec un futur projet de loi. Aider les aidants, c’est aussi les sensibiliser à leur prévention ou à leur préparation. C’est promouvoir leur accompagnement au travers de services adaptés comme les services d’orientation, de mise en relation avec des professionnels, d’explication des démarches, etc. Il s’agit ici de développer davantage des plateformes d’information ou d’orientation, à partir des expériences vécues. Il m’apparaît également important que les entreprises puissent être davantage sensibilisées sur les problématiques rencontrées par leurs salariés. Le travail de pédagogie et d’information ne doit donc pas être orienté vers les seuls aidants, mais aussi vers les employeurs ainsi que vers les futurs aidants, les personnes qui sont susceptibles de devenir aidant un jour. Potentiellement, nous pouvons tous être concernés. D’où l’importance de la prévention.

  1. La solvabilisation assurantielle dans le cadre de contrats collectifs

Répondre aux besoins matériels et moraux des aidants et les accompagner est tout aussi important que le financement de l’autonomie via une rente. Avec l’allongement de la durée du travail et de la durée de vie, la part des aidants devrait croitre significativement. Les acteurs de la protection sociale complémentaire, par les techniques assurantielles de mutualisation des risques, sont à même de « solvabiliser ». Terme technique signifiant donner accès à des prestations qui n’auraient pas été accessible si les bénéficiaires devaient en payer le prix à l’usage. Ainsi, les acteurs de la protection sociale complémentaire peuvent proposer de nouvelles formes de garanties de prévoyance collective, comparables à des arrêts de travail maladie. Il pourrait s’agir, non pas d’arrêts longs, mais de journées mobilisables tout au long de l’année. Ces solutions permettraient de faire face aux problématiques rencontrées aujourd’hui dans les entreprises, à savoir l’absentéisme des salariés qui doivent régulièrement s’absenter pour s’occuper de leurs proches, mais également le présentéisme. Le présentéisme concerne les salariés aidants qui restent en entreprise, faute de jours de congés suffisants, mais qui ne sont pas efficaces car ils sont fatigués, stressés et préoccupés par les tâches à accomplir … Ce qui, au final, a un coût, aussi bien pour l’employé que pour l’employeur.

Face aux montants considérables à mobiliser, ma conviction est qu’un socle public est nécessaire, avant de laisser aux partenaires sociaux la charge de négocier et mettre en place des garanties complémentaires adaptées au monde de l’entreprise – accords de branche ou d’entreprise – en capitalisant sur le cadre fiscal et social actuel des garanties de prévoyance collectives. Aussi, je me réjouis que la tendance actuelle – propositions du rapport Libault et projets du gouvernement – aillent dans le bon sens sur le sujet. Je pense tout particulièrement à :

  • L’indemnisation du congé de proche aidant (LFSS 2020) est la reconnaissance de la prise en compte d’éventuelles difficultés financières des salariés en situation d’aider un proche. Cette reconnaissance me paraissait indispensable. Le droit au répit instauré par la loi Delaunay était une première avancée mais insuffisante. Les personnes concernées étaient contraintes à des choix difficiles dictés par les questions de revenu.
  • L’obligation d’intégrer, dans la négociation collective, la prise en compte de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Sur ce sujet, je ne peux que me féliciter de la mise en avant du rôle des partenaires sociaux, aussi bien au niveau des branches que dans les entreprises, en matière d’accompagnement et de prise en charge de la perte d’autonomie.

Quelle est votre vision de l’avenir de la protection sociale française ?

Vaste question ! Cette crise sanitaire, économique et sociale, qui malheureusement semble devoir perdurer, va nous faire basculer vers de nouveaux paradigmes. J’en suis intimement convaincu. Tout ça prendra du temps, bien sûr, mais les signaux sont déjà là. Regardez l’organisation du travail. Bien avant la crise, émergeaient déjà des tendances à l’horizontalité comme mode de fonctionnement des entreprises, l’aspiration à l’autonomie, la recherche d’un équilibre vie professionnelle/vie personnelle, la volonté de trouver un sens à son job … Tout ceci a été amplifié par la crise. Par exemple, le travail distant généralisé – qu’on appelle par facilité « télé-travail » – a bouleversé la perception même du collectif de travail : est-ce de travailler dans un même lieu qui fait une entreprise ? Ou est-ce le projet commun ? Et si c’est le projet commun, comment doit-on s’organiser pour le mettre en œuvre ? Ces questions n’ont été qu’esquissées au-cours des négociations interprofessionnelles sur le télétravail. Mais déjà, qu’une négociation nationale ait été menée sur ce sujet montre bien que le mouvement de mutation du monde du travail est engagé et que les partenaires sociaux en sont conscients et s’en sont emparés !

On peut désormais être salarié un jour, indépendant le lendemain, en formation le surlendemain, puis de nouveau salarié dans une autre branche … On peut travailler moins selon les périodes de la vie familiale, ou plus. On peut travailler de chez soi ou d’ailleurs. Le monde du travail est plus divers et complexe qu’auparavant. Et je ne vise pas uniquement le travail de bureau.

La rémunération n’est plus juste le produit d’un temps de travail posté : Taylor est mort !

Cette mutation du monde du travail est la conséquence directe de la mutation économique, qui voit, dans les pays avancés, la valeur ajoutée et les marges quitter le monde industriel pour le monde du numérique et de la data. Les GAFA ne sont-ils pas les grands gagnants de la crise, avec des capitalisations boursières phénoménales ? Moi qui travaille chez Micropole, entreprise française de technologie spécialisée dans la Data, je mesure tous les jours combien notre monde est en train de changer. Pas à Shanghai, pas à San Francisco, pas à Dubaï. Mais bien ici en France. Aussi certainement que l’électricité a remplacé les bougies à la fin du XIX° siècle et les automobiles les calèches au début du XX°. Et assurément beaucoup plus rapidement. Les biotechnologies, s’appuyant aussi sur la data, combinée à l’intelligence artificielle, seront un autre vecteur de transformation. Ainsi Moderna, biotech fondée il y a tout juste 10 ans, a avancé plus vite sur le vaccin tant attendu contre la Covid-19 qu’Astra Zeneca ou Sanofi, poids lourds historiques. Cela en dit long sur l’économie de demain. De la même façon que notre protection sociale a été conçue originellement pour une activité taylorienne et industrielle, elle doit se rénover pour correspondre désormais aussi aux besoins des salariés et des employeurs de l’ère numérique et de la data.

En plus de cette transformation économique, se déroulent sous nos yeux deux autres mutations, celle de la démographie et celle de la responsabilité sociale (RSE). La première est déjà bien engagée avec le vieillissement de la population mondiale. En 2018, pour la première fois dans l’Histoire, les personnes âgées de 65 ans et plus étaient plus nombreuses que les enfants de moins de 5 ans. Un changement fondamental pour l’Humanité mais aussi à notre échelle française pour nos systèmes de protection sociale. Mais pas seulement, car ce vieillissement joue aussi sur le monde du travail et la production de valeur. Quand désormais ce n’est plus une mais presque trois générations qui sont en activité en même temps, il se pose des questions d’organisation du temps et du mode de travail. Ce que je dis là pour la démographie vaut pour la responsabilité sociale.

Nous ne sommes plus dans le modèle historique et normé où chacun doit être semblable à son voisin. Nous allons donc vers des organisations qui anticipent davantage les évolutions, des organisations orientées sur les besoins changeants des clients, des salariés, des actionnaires et autres parties prenantes, des organisations agiles par nature.

Est-ce que, pour autant, cela supprime le besoin d’une protection sociale collective ? Bien sûr que non ! Comme en témoignent la création des collectifs de chauffeur Uber ou celle, plus récente, du néo-syndicat des indépendants, le collectif reste la solution la plus efficace et solide pour définir des droits sociaux … et les devoirs qui vont avec. La protection sociale qui va avec l’activité professionnelle – où les trois temps classiques de la vie : formation/travail/retraite ne sont plus aussi distincts – doit être, à son tour, adaptée à cette nouvelle réalité.

Plus que jamais, nous avons une responsabilité et une opportunité immense face aux changements profonds que vivent nos sociétés, de faire évoluer nos systèmes de protection sociale. La responsabilité des partenaires sociaux, comme celle des acteurs de la protection sociale complémentaire, assureurs paritaires et mutualistes, tout en garantissant leur solvabilité dans la durée, est de les rendre toujours plus flexibles et capables de s’adapter pour offrir une protection aux personnes tout au long de la vie, quelle que soit la situation ou les crises.

A nous de poursuivre le travail, avec vigilance et persévérance.