Retraites et dépendance, le défi de 4 générations

Par Bruno Angles, Directeur général d’AG2R LA MONDIALE.

Tribune parue dans Les Echos le 20 mars 2023.

C’est peut-être l’avancée la plus marquante de nos sociétés modernes : en un siècle, nous avons gagné en moyenne plus de vingt-cinq ans d’espérance de vie. Le fruit d’immenses progrès scientifiques, médicaux, économiques et sociaux, bref du génie de l’homme. Aujourd’hui en France, non plus trois, mais quatre générations vivent ensemble ou cohabitent. Un progrès, certes, une joie, mais qui doit nous interroger et surtout nous pousser à agir, au plus vite, sur deux sujets majeurs :la retraite et la dépendance. L’un et l’autre sont indissociables, tant dans leur principe que leur financement.

Le débat sur la durée de cotisation ou de l’âge de départ est légitime et très important. Mais il n’est qu’un des aspects de cet immense enjeu de société quand une retraite peut durer jusqu’à 25, 30, parfois 40 ans, et que deux générations vont être à la retraite en même temps. Ainsi, d’ici à 2028, entre 1 et 1,5 million de femmes et d’hommes rejoindront-ils les Français de plus de 75 ans. De toute évidence, il apparaît impossible de ne rien changer à un système conçu pour une population dont l’espérance de vie atteignait 65 ans en moyenne après-guerre contre 80 aujourd’hui.

Mais cette nouvelle donne démographique ne doit pas se résumer à des chiffres. Elle recèle une réalité bien plus importante : le bien vieillir. C’est un défi majeur et très coûteux, malgré les miracles de la médecine. En 2030 – dans seulement sept ans – la prise en charge de la dépendance liée à l’âge coûtera 10 milliards d’euros de plus qu’en 2020. Certaines affections, peuvent être très lourdes et longues à gérer ; et cela plus encore pour des familles aux ressources modestes. Ce nouveau risque ne peut pas reposer sur les seules solidarités nationales, déficitaires, ou familiales quand elles existent. Il serait en effet injuste de demander encore plus aux enfants, petits et arrière-petits-enfants. Ce serait courir un autre risque, celui de l’appauvrissement des actifs, qu’ils aient 25 ou 60 ans, et, d’une certaine manière, d’une « guerre » des générations.

Comment leur demander de payer toujours plus pour leurs aînés, alors qu’ils ne sont pas certains de bénéficier eux-mêmes, le moment venu, d’une pension garantissant un niveau de vie équivalent ? Depuis vingt-cinq ans, tous les gouvernements ont sincèrement voulu s’attaquer au défi du vieillissement de la population, de multiples plans ont été lancés, une journée de solidarité a été instaurée après les drames de la canicule de 2003. Malheureusement, les financements, les emplois, les formations et les structures d’accueil manquent toujours. Mais nous ne pouvons plus tout attendre d’un Etat qui fait déjà peser sur les générations futures le poids d’une dette abyssale. C’est donc un défi collectif : citoyens, entreprises et nous, les institutions spécialistes. À nous d’être les premiers acteurs de cette mobilisation générale.

A nous d’imaginer les mécanismes pour encourager la prévention à tout âge de la vie et de contribuer à un vieillissement heureux ! A nous de sensibiliser les jeunes qui commencent leur vie professionnelle ! A nous de déployer tous les moyens permettant de mieux prendre en compte tous les aspects du bien vieillir ! Il faut bâtir des formules souples et évolutives tout au long de la vie pour à la fois inciter l’anticipation financière, et, en parallèle, former, valoriser et mieux accompagner les aidants et équiper le pays de tout ce qui pourra permettre aux quatre générations actuelles de bien vivre ensemble.

Des solutions existent, mais elles doivent faire l’objet d’une mobilisation générale. La dépendance, son financement, son organisation et sa prise en charge, devraient être tout autant au cœur des réflexions que le financement des retraites. Car le bien-vieillir des uns est aussi le bien-vivre des autres. Avec l’environnement, c’est probablement l’enjeu de société le plus crucial auquel nous n’avons jamais été confrontés.