Organismes non lucratifs de protection sociale : de la logique de l’offre à celle de la demande.

La réponse du CFAD – Collectif France pour l’Appui à la Demande

Petit-déjeuner du Lab OCIRP Autonomie, le 26 janvier 2023 de 8h30 à 10h30 à l’OCIRP (Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance), Paris.

Synthèse des échanges

Avec les interventions de :

  •  Jacques Daniel, Président du CFAD 
  •  Philippe Calmette, Vice-Président du CFAD et Vice-Président de NEXEM
  •  Pierre Haristouy, Directeur du CFAD
  •  Christophe Lecuyer, Directeur de l’Innovation du CFAD
  • Animateur : Patrick Lelong, journaliste.

L’objet du COLLECTIF FRANCE POUR L’APPUI A LA DEMANDE (CFAD), créé en février 2022, est de soutenir la demande des personnes en situation de fragilité ; ce collectif permettra notamment de : connaître, faire connaître et promouvoir les fondamentaux et les dispositifs d’appui à la demande auprès des pouvoirs publics et du public ; structurer le travail au niveau du terrain et articuler l’action, la recherche et la formation ; construire de l’expertise en s’appuyant sur les réalités territoriales et en capitalisant les expériences ; soutenir les acteurs qui développent des dispositifs d’appui à la demande ; développer toute activité de nature à concourir à l’objet et mutualiser des méthodologies, des outils et des communautés de pratiques ; évaluer et valoriser les résultats obtenus.

  1. Rappel historique sur la création du CFAD : de la protection à l’émancipation

Philippe Calmette, Vice-Président du CFAD, Vice-Président de NEXEM

Dans les années 50, les personnes en situation de fragilité et en perte d’autonomie ne trouvent aucune offre de marché ou publique pour répondre à leurs besoins. Ces populations fragiles et leurs représentants se mettent en mouvement pour créer des structures, des établissements, des services ; par exemple, les parents d’enfants handicapés créent les Instituts Médico-Educatifs (IME).

Les offres d’accompagnement et des services s’organisent autour de l’axe de la protection.

Aujourd’hui, les associations de l’économie sociale et solidaire gèrent des établissements et des services qui représentent 750 000 emplois dans le pays, avec une enveloppe de 30-35 milliards d’euros.  Au fil du temps, les associations développent une approche de gestionnaire de l’accompagnement, de la protection des publics fragiles, qui a pu s’éloigner de la demande et des besoins exprimés par la société civile.

La loi sur le handicap de 2005 met l’accent sur la nécessité pour les personnes fragiles :

  • d’accéder au droit commun ;
  • de construire des parcours ;
  • d’aller vers la citoyenneté.

Le texte met en exergue de nouveaux droits, notamment ceux à la compensation du handicap/de la fragilité et au choix du parcours de vie.

Pour mettre en application la loi de 2005,  les acteurs de l’économie sociale et solidaire ont besoin de créer des outils et de former les professionnels aux nouvelles pratiques.

C’est l’objectif du Comité France pour l’appui à la demande (CFAD). (assemblée générale constitutive : le 28 février 2022).

  1. Le changement de paradigme : de l’offre à la demande

Le CFAD s’oriente vers de nouvelles pratiques d’accompagnement des publics fragiles : de la politique de protection à celle de l’émancipation.

Il s’agit d’un véritable changement de paradigme : on ne raisonne plus à partir des incapacités (handicap, fragilités …) des personnes mais au contraire de leurs capacités. Ce changement doit s’effectuer grâce au déploiement d’outils, au développement de métiers (notamment le métier d’assistance au projet de vie), à la formation à l’accueil de ces personnes fragiles au sein des entreprises et de la société en général.

Le dispositif Assistance au projet de vie (APV) permet de coconstruire avec la personne en situation de fragilité son projet citoyen.

Le métier d’APV est une nouvelle pratique de l’accompagnement des personnes, non pas pour les protéger, mais pour leur permettre d’exprimer ce qu’elles ont envie de faire et ce qu’elles peuvent faire, en s’appuyant sur leurs capacités.

Il s’agit donc d’une approche moderne, tournée vers les capacités, la construction de parcours favorisant l’accès à l’emploi ordinaire, à la vie sociale. L’objectif est de mener une vie la plus « ordinaire » possible et d’accéder au droit commun.

 L’un des objectifs de l’APV est de sortir les personnes « confinées » dans des établissements et des services pour les réinsérer dans la société grâce à un parcours inclusif.

Ce changement doit s’effectuer grâce au développement de métiers, de pratiques. Il faut former les entreprises et la société en général à l’accueil des personnes en situation de fragilité. On s’aperçoit que ces personnes, lorsqu’elles sont intégrées dans l’entreprise, participent positivement au climat social et donnent du sens à l’organisation qui les accueille.

Ce nouveau paradigme offre la possibilité d’un rebond pour l’économie sociale et solidaire. Les acteurs non lucratifs du champ social et médico-social reconstruisent leur activité et les services pour prendre en compte une demande et des besoins émanant de la société civile, centrés sur les droits des personnes.

Si le dispositif APV trouve son origine dans le domaine du handicap, sa vocation est universelle. De nombreux exemples montrent que des services ou des approches créés au départ pour des personnes en situation de handicap profitent à d’autres personnes en situation de fragilité et à la société dans son ensemble. Ainsi, les outils et les techniques mis en place pour le handicap sensoriel participent à l’accessibilité de supports médiatiques.

Jacques Daniel, Président du CFAD

Sur la réalité du changement de paradigme

L’évaluation des personnes à partir de leurs incapacités et l’organisation en tuyaux d’orgue du secteur médico-social conduit à mettre les personnes dans des cases. Cette offre cloisonnée doit pouvoir être décloisonnée dans une logique inclusive. Le mouvement doit pouvoir s’accélérer sur la base du droit français mais aussi du droit international(convention internationale des droits des personnes handicapées ratifiée par la France.) Le sujet est important : il faut développer les appuis nécessaires pour que les personnes puissent définir un projet de vie.

Après la loi de 2005, la notion de projet de vie apparaît également dans la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement de 2015. Néanmoins sa définition, et mise en application avec les personnes elles-mêmes restent à mettre en œuvre.

La logique de la demande a émergé dans l’expérimentation APV pilotée par Nexem en partenariat avec Klesia et l’OCIRP. La demande peut s’exprimer aujourd’hui notamment à travers les notifications MDPH pour obtenir une place en établissement, mais aussi (voir document remis sur table) mais aussi à travers des demandes très personnelles, du type : un appartement, un emploi, une relation de couple. La structuration du secteur médico-social doit basculer de la logique de l’offre à celle de la demande.

Comment faire pour que les politiques publiques repartent des demandes du terrain, prennent en compte les souhaits des personnes et que les projets politiques et que les acteurs coopèrent efficacement sur les territoires. La coopération entre acteurs reste bloquée sur le plan règlementaire. Les plateformes de services ne sont pas capables de se décloisonner.

En ce qui concerne la gouvernance associative, une deuxième vague de solutions nouvelles doit être apportée. Or dans l’organisation actuelle, il n’est pas possible pour les personnes de décider ce qu’elles veulent faire et avec qui. Nous sommes dans une situation où l’offre s’impose. Les gouvernances associatives vont devoir repenser leur projet d’établissement et de services et cela au-delà du seul secteur du handicap. Les dispositifs médico-sociaux, sociaux et sanitaire doivent se mettre en capacité de répondre à la demande plutôt que d’appliquer des textes. Ces textes, comme ceux relatifs à l’accompagnement à la vie sociale, restent dans une logique purement descendante. Ils visent à appliquer un cadre prédéfini. L’APV (assistance au parcours de vie) est un levier pour inverser cette logique.

Patrick Lelong, journaliste

Comment l’APV peut-il répondre véritablement aux attentes des personnes ? Avec quel collectif ?

Pierre Haristouy, Directeur du CFAD

Le collectif se situe dans la continuité des travaux menés par la FEGAPEI avec le concours de Klesia et de l’OCIRP, puis par Nexem, en soutien à la demande. Il s’agit de soutenir les dispositifs qui renforcent la capacité des personnes à faire valoir leurs droits, à décider par eux-mêmes de leur vie et influer sur les réponses proposées. Le collectif se propose de structurer le travail de terrain, en articulant la recherche, la formation pour un service de qualité, le plus efficient possible, de construire l’expertise et de soutenir les acteurs qui souhaitent déployer ce type de dispositif en élargissant son périmètre. Actuellement existe une politique publique de développement de l’APV dans le champ du handicap. Il faut soutenir ce premier déploiement à grande échelle puis à penser les modalités pour d’autres fragilités, selon le même changement de paradigme. L’intervention récente de la Défenseure des droits met l’accent sur la situation des résidents en EHPAD. Elle met en lumière la difficulté, en ce qui concerne les personnes âgées et l »action sociale en général, de prendre en compte le choix des personnes.

L’objectif du CFAD est d’élargir son périmètre à toutes les personnes touchées par des situations de fragilité. Il faut donc développer et mutualiser les méthodologies, les outils, les communautés de pratique, les partenariats, l’évaluation, la valorisation et la diffusion.

Patrick Lelong

Le CFAD est-il présent sur tout le territoire ?

Jacques Daniel, Président du CFAD

(Voir carte) Le CFAD est engagé vers un développement au niveau national.

Patrick Lelong

Que sont en droit d’attendre du CFAD les personnes et leur famille ?

Pierre Haristouy, Directeur du CFAD

Nous sommes dans une démarche de transformation des politiques sociales, historiquement construites sur un modèle protecteur qui visait à « réparer » les personnes en gommant leurs incapacités et en leur apportant l’équivalent du bien qu’ils avaient dans la société en milieu protégé. Il s’avère que ce modèle ne correspond plus, aujourd’hui, à la demande de la société et des personnes concernées. L’aspiration est aujourd’hui d’être en capacité de faire ses propres choix et d’accéder aux mêmes biens que le reste de la population.

Concrètement , les dispositifs APV permettent de s’adresser aux personnes (actuellement les personnes en situation de handicap) comme à l’ensemble des citoyens. Sur le principe de l’autonomie de vie, ils sont considérés comme capables de choisir l’aide dont ils ont besoin et de solliciter l’adaptation individuelle de cette aide en fonction de leur volonté, de leur manière de vivre. Ceci dans l’objectif de leur permettre de choisir, autant qu’il est possible, ce qui fait leur vie quotidienne.

L’offre va dans cette démarche continuer à se recomposer, petit à petit, au niveau de la personne. Il s’agit aujourd’hui de soutenir les personnes dans leur capacité à définir ce qu’elles souhaitent. C’est le bénéfice apporté par les dispositifs APV.

Patrick Lelong

Qu’apporte concrètement le CFAD dans cette démarche de soutien ?

Christophe Lecuyer, Directeur de l’Innovation du CFAD

Tout d’abord, le CFAD apporte une clarification des parties prenantes.

De quelles personnes parle-ton ? Nous pouvons, tous, être à un moment dans une situation de fragilité. Le CFAD met au centre celui que nous appelons le « maître d’ouvrage » : les parents si l’enfant a moins de 18 ans ou l’adulte. Bien entendu, la maîtrise d’ouvrage est partagée entre les parties prenantes (la personne, sa famille, ses proches), pour le choix, le financement etc… Cette co-construction est mise en place grâce à ce nouveau métier d’APV, qui remet la personne au centre de la maîtrise d’ouvrage, pour l’aider à faire un choix entre les différentes possibilités qui s’offrent à elle. Le rôle du CFAD consiste à éviter de proposer des solutions toutes faites.

III/ Quel partenariat entre le CFAD, les institutions de prévoyance et les mutuelles ?

Pierre Haristouy, Directeur du CFAD

Le métier d’APV s’est construit dans une logique d’expérimentation, soutenue par deux IP, comme nous l’avons dit, à partir, notamment, d’un appui universitaire qui a permis de l’évaluer. A partir de cette évaluation du métier, de sa posture, ont été élaborés des outils de formation professionnelle, de référentiels métiers. Le certificat de compétence CC158, porté par le CNAM, est reconnu comme un élément important de la formation à ce nouveau métier. Nous avons travaillé à la construction de ce métier et également à la manière dont il doit être mis en œuvre. L’indépendance vis-à-vis de l’offre est un élément extrêmement important. Citons également le management de ces métiers d’APV, qui sont construits sur le pouvoir d’agir (cela demande donc un management spécifique) et l’organisation de dispositifs.  Nous avons été sollicités pour accompagner d’autres structures, au niveau régional puis national, dans le développement de ce type d’approche et de métier, dans le champ du handicap. Grâce à l’appui de la FIRAH, nous avons capitaliser sur cette expertise pour accompagner le déploiement dans la Nouvelle Aquitaine. Nous avons noué des partenariats avec plusieurs ARS ; Aujourd’hui, dans le cadre de la politique publique des ARS, nous industrialisons la manière d’accompagner ces dispositifs. La logique de collectif national permet de mutualiser, d’évaluer, pour arriver, à terme, nous l’espérons, à une certification de ces dispositifs.

Le partenariat que nous souhaitons nouer avec les institutions de prévoyance et les mutuelles doit nous permettre, par un soutien financier, de soutenir l’ensemble des dispositifs quels que soient leur périmètre et le public auquel ils s’adressent. Comme le fait l’APV pour les situations individuelles, le CFAD peut se mettre en position d’assistance à maîtrise d’ouvrage auprès des institutions de prévoyance et des mutuelles. Ceci pour qu’elles puissent elles-mêmes développer ce type de prestation tournée vers la demande, dans le cadre de leurs services, au niveau collectif ou individuel.

Patrick Lelong

Quels sont les avantages de cette démarche APV pour les employeurs et les salariés ?

Christophe Lecuyer, Directeur de l’Innovation du CFAD

Nous pouvons apporter aux employeurs de la formation à ce changement de paradigme, au repositionnement de la maîtrise d’ouvrage. L’objectif, évidemment, est de conserver les compétences des salariés en poste. Ces salariés peuvent être proches aidants, eux-mêmes en situation de fragilité. Des compétences nouvelles peuvent être apportées pour sécuriser l’emploi.

La formation peut aussi soutenir les référents handicap dans les entreprises, pour bien positionner leur rôle vis-à-vis des salariés en situation de handicap.

Le CFAD peut aussi favoriser la mobilité des parcours professionnels. Lorsque son emploi est sécurisé, la projection dans son projet de vie est beaucoup plus simple. On peut aussi favoriser la pair aidance entre salariés et favoriser un cercle vertueux.

Plus globalement, l’action du CFAD veut contribuer à l’accessibilité de la société, par le pouvoir redonné aux personnes et une meilleure accessibilité de l’offre.

Plus globalement, le CFAD peut proposer un ensemble de prestations pour soutenir les salariés en situation de fragilité et les proches aidants.

Focus sur les salariés proches aidants

(voir le témoignage d’une mère – Document papier remis aux participants au LAB).

L’exemple montre que le soutien reçu par cette mère a libéré de la charge mentale. Cette femme, finalement, se redonne la possibilité de recommencer à travailler. Elle se redonne le choix.

Pour les salariés aidants, notre démarche consiste à faciliter l’accès de leur proche au dispositif APV, à réinterroger avec eux leur propre projet au regard de l’évolution de la situation de leur proche : par exemple, ils peuvent se rendre compte qu’ils n’ont pas besoin de passer à temps partiel, qu’ils peuvent continuer à travailler. Il s’agit aussi de former à la posture d’aidant en ayant une position adéquate. C’est aussi organiser des solutions qui tiennent compte des engagements de chacun. Enfin, c’est bénéficier de prestations permettant de financer les assistances : aides à domicile ou autres, davantage en lien avec la réalité du projet des personnes et non de façon uniforme.

Patrick Lelong

Pourquoi la démarche APV nécessite-telle une labellisation ?

Philippe Calmette, Vice-Président du CFAD, Vice-Président de NEXEM

Nous sommes dans une évolution culturelle, qui est donc difficile et longue à mener. Considérer qu’une personne en situation de fragilité n’est pas avant tout une addition d’incapacités mais un potentiel humain, de travail, un apport à la société, suppose une véritable évolution culturelle.  Pour la soutenir, les enjeux de formation sont très importants. Il faut former les 900 000 professionnels du secteur, les dirigeants de l’économie sociale et solidaire, aujourd’hui à la tête de l’offre des services et de prestations. Il faut aussi former les écoles, les entreprises. C’est l’enjeu de l’entreprise inclusive, c’est un enjeu de RSE. Les entreprises sont affectées et concernées par les évolutions sociétales, les nouvelles attentes. Il faut former les responsables au fait qu’on change de paradigme et qu’il existe des outils concrets pour y parvenir. Il y a dix ans, nous nous sommes posé cette question : « Comment FAIRE maintenant, pour tenir compte des capacités des personnes, pour mettre en œuvre les droits reconnus par la loi ? ». Nous pouvons aujourd’hui aider les directions d’entreprises, les DRH à y répondre. La formation que nous proposons porte sur les outils et les méthodes pour aller vers l’entreprise inclusive, en prise directe avec les enjeux de la RSE.

Patrick Lelong

Revenons sur l’accompagnement concret, opérationnel proposé par l’APV

Christophe Lecuyer, Directeur de l’Innovation du CFAD

En premier lieu, nous proposons des outils mais aussi un savoir-faire. La posture de l’assistance à maîtrise d’ouvrage impacte la pédagogie de la formation elle-même. Dans la formation qui a été élaborée par le CNAM pour préparer à ces nouveaux métiers ; l’apprenant est lui-même repositionné comme maître d’ouvrage de sa propre formation.  L’apprenant formule son besoin de formation. Nous disposons de ce savoir-faire.

Nous pouvons aussi intervenir en appui aux personnes et à tous les partenaires qui souhaitent se former à cette méthodologie. Nous avons découvert, grâce à la mise en place de la formation du CNAM, la richesse de la pluridisciplinarité. 80% de personnes qui suivent cette formation sont issues du secteur du handicap. Cela signifie que 20% d’entre elles viennent de la société civile : des bibliothécaires, des graphistes … qui souhaitent intégrer cette posture. La formation permet le partage d’expériences.

Patrick Lelong

Pourquoi le CFAD s’adresse-t-il plus particulièrement aux institutions de prévoyance et aux mutuelles ?

Philippe Calmette, Vice-Président du CFAD, Vice-Président de NEXEM

D’abord pour des raisons de principe, de philosophie, inhérentes à l’ESS. Quand la société exprime des besoins auxquels le marché ou la puissance publique ne répondent pas, l’ESS crée des structures (associations, coopératives, IP, mutuelles, fondations …) pour y répondre. Les institutions de prévoyance et mutuelles sont les mieux positionnées pour répondre à la demande d’accompagnement et de parcours inclusif.

Mais aussi pour des raisons pragmatiques : aujourd’hui, la solvabilisation des services d’accompagnement est l’enjeu majeur. Comment financer la transition, les nouveaux métiers, les nouvelles pratiques ? L’assurance maladie, tous les budgets qui aujourd’hui financent l’accompagnement commencent à s’intéresser à cette question de la solvabilisation, à travers les débats sur la tarification dans le secteur. Mais à côté des financements institutionnels de notre protection sociale existe le financement par les acteurs de la prévoyance et de l’assurance. La prévoyance et l’assurance constituent aussi une porte d’entrée.

Si le sujet intéresse les IP et les mutuelles, nous devons continuer à travailler ensemble pour voir comment ce que nous venons d’exposer aujourd’hui peut se transformer en services, en prestations des mutuelles et des IP en direction de leur clients et bénéficiaires en entreprise. Les cibles sont les DRH, les correspondants handicap, les salariés en situation de handicap et les salariés aidants de personnes en situation de fragilité. Les salariés en entreprise ont besoin d’un nouvel accompagnement, de nouveaux services et d’information. IP et mutuelles doivent pouvoir répondre à ces besoins et à ces aspirations : construction d’un parcours professionnel, assistance aux proches aidants. Un lien doit être fait entre la démarche APV et la labellisation Handeo (première agence de certification issue de l’économie sociale, dont la gouvernance intègre des bénéficiaires) pour les entreprises engagées auprès de leurs salariés aidants.

Le travail qui nous reste à faire est de construire ensemble des services qui répondent aux nouveaux besoins.

Patrick Lelong

S’agissant des services à construire avec les IP et les mutuelles, comment articuler un accompagnement personnalisé et une ossature commune ?

Jacques Daniel, Président du CFAD

Dans notre démarche, l’individu doit pouvoir exprimer ses choix et travailler sur son propre projet.  Avec les IP, nous pouvons généraliser et industrialiser un processus qui parte de la demande. Cela implique peut-être de reconsidérer la manière de concevoir ces services. C’est notre hypothèse, mais nous devons la confronter avec les réalités des IP et des mutuelles. Est-il imaginable de penser des services qui partent de la demande des bénéficiaires ? (en ce qui concerne la CFAD lui-même, 50% des membres de notre conseil d’administration sont en situation de fragilité, ce qui nous amène à nous questionner sur notre action. Le postulat de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, essentiel, peut conduire à des choix très différents.

Si l’adéquation avec les attentes individuelles, de qualité est garantie, le niveau collectif permet d’entrer dans une logique d’industrialisation. Cela suppose une dynamique de progrès permanent. En effet, les besoins évoluent. Plus on aide les personnes à prendre leur place dans leur accompagnement, plus leur demande se structure et plus le niveau d’exigence et d’engagement réciproque augmente.

De la salle

On ne peut que se réjouir du changement de paradigme qui vient d’être présenté. Être à l’écoute de la demande, c’est l’essence même de l’économie sociale et solidaire. Ce sont les personnes touchées par la nécessité qui ont créé les structures de l’ESS. Ces créations se situent dans l’économie des besoins, dont parlait Jacques Fournier en 2013. Un mot n’a pas été employé : c’est celui de concurrence. Dans les dernières années, les entreprises de l’ESS se sont retrouvées en concurrence. C’est, je crois, ce qui a largement déterminé e passage de l’économie des besoins à l’économie de l’offre. Dans son rapport de septembre 20211, le Haut conseil à la vie associative dénonçait une concurrence qui nuit à la fois aux structures associatives et à leur public.

Je me réjouis d’entendre que ce sont les bénéficiaires qui doivent contribuer à la construction des réponses. A défaut, l’ESS continuera à souffrir d’une banalisation gestionnaire, comme la montré Philippe Calmette.

De la salle

La démarche visant à replacer la demande au cœur des dispositifs d’accompagnement est très intéressante. Ne faut-il pas aller plus loin en organisant un collectif pour l’appui à l’offre, pour que celle-ci puisse répondre aux besoins, sur tous les territoires. Les institutions de prévoyance ont peut-être un rôle à jouer en la matière.

Jacques Daniel, Président du CFAD

Cette dimension est prévue par les projets que porte le CFAD. Il s’agit de soutenir les acteurs de l’offre qui veulent évoluer.

Dans le processus classique, la personne est l’objet d’une évaluation, d’une orientation vers un établissement, un service médico-social ou un dispositif. Inverser la démarche et partir de la demande implique une ingénierie de conception de la nouvelle offre. Le CFAD a un groupe projet consacré à cette dimension, dans la logique d’assistance à maîtrise d’ouvrage.

De la salle

Nous avons bien compris que la démarche APV, partie du handicap, peut être étendue aux personnes âgées. Il faut aussi prendre en compte dans la démarche la situation des proches aidants non professionnels, bénévoles, dont un certain nombre exercent une activité professionnelle par ailleurs. Le sujet des salariés proches aidants émerge.

En plus de l’ESS, les branches professionnelles ont également un rôle crucial à jouer (qu’elles relèvent ou non de l’ESS). Elles doivent être formées. Elles sont à la jonction entre les entreprises et les salariés. Il est opportun de convaincre les branches professionnelles de l’opportunité de changer de paradigme en privilégiant la demande dans l’accompagnement social, en commençant par les branches les plus dynamiques.

La RSE est aussi une porte d’entrée importante. De même, la FIRAH a toute sa place dans votre démarche.

Réponses du CFAD

Sur l’extension du périmètre aux personnes âgées

En utilisant les outils de renforcement de la demande, nous constatons qu’ils pourraient être utilement être utiles dans beaucoup de situations qui ne sont pas nécessairement caractérisées administrativement comme des situations de fragilité : perte d’emploi, séparation du couple, remises en question … La démarche APV apporte aux personnes la capacité à redevenir maître de son histoire, de son récit de vie et de son avenir en définissant ce qui est important dans leur futur. Dans les accidents de vie, les ruptures, une approche du type assistance au parcours de vie est bénéfique. Comme l’accessibilité profite à tous, cette approche peut profiter à tous.

Sur les branches professionnelles

Notre sujet ne relève pas de l’action sociale des mutuelles et des IP, mais d’une politique de réduction des risques pour les entreprises : mobilisation de services au bénéfice des salariés de l’entreprise en situation de fragilité, des proches aidants salariés, mise à disposition d’outils auprès des DRH et des chefs d’entreprise. Ce faisant, on participe à la construction d’entreprises inclusives, réellement engagées dans une démarche de responsabilité sociale et sociétale. On contribue à donner du sens à l’entreprise et à réduire les risques couverts habituellement par les institutions de prévoyance.  Nous nous plaçons dans la vision d’une stratégie d’investissement dans la réduction des risques. Il s’agit d’un sujet de branche professionnelle. Les employeurs devraient s’en emparer.

Le parcours professionnel des salariés ne se construit plus aujourd’hui comme il y quelques années.  Pour atteindre une certaine fluidité des parcours des salariés, pour que les entreprises soient capables d’attirer des personnes, il faut probablement aller vers le renforcement de la qualité de vie au travail. Cet enjeu excède le périmètre du travail. C’est sur cette frontière, par exemple pour les salariés proches aidants, que la qualité de vie au travail se joue. Est-ce que mutuelles et institutions de prévoyance sont en mesure, avec le CFAD, de prendre en compte la demande des différents acteurs, c’est-à-dire non seulement les personnes directement intéressées mais aussi celles qui se trouvent dans le périmètre de proximité. Un salarié sur six est proche aidant. Améliorer la qualité de vie grâce à un projet de vie construit en réponse à la demande réelle est une perspective prometteuse.

Comme nous avons réussi l’expérimentation APV et son déploiement dans le champ du handicap, nous devons dupliquer la démarche en direction des autres situations de fragilité. Par exemple, l’un des membres du CFAD est un acteur intervenant sur la question du COVID long. 4% de la population sont concernés. Si l’on demeure dans un prisme « handicap », l’accès à la PCH ou à l’AAH impose aux personnes de déclarer un trouble psychologique. C’est une situation aberrante : les personnes, âgées en moyenne de 43 ans, doivent se faire diagnostiquer un trouble psychologique pour sécuriser leur avenir…

Notre travail commun pourrait se diriger vers les personnes handicapées, les personnes âgées, mais aussi vers des personnes qui peuvent être hors des radars et ne trouvent pas de réponse adaptée. Nous devons faire émerger leur demande : salariés atteints de maladies chroniques, salariés qui reprennent leur activité professionnelle après un cancer, Covids longs pour lesquels il n’existe pas de stratégie de santé publique … Il ne s’agit pas de publics marginaux. Les enjeux sont qualitatifs mais aussi quantitatifs pour les entreprises.

Marie-Anne Montchamp, Directrice générale de l’OCIRP

Merci au CFAD et au LAB Autonomie. La démarche présentée par la CFAD est d’un très grand intérêt et très importante. Elle percute le modèle assurantiel. En effet, elle invite à passer d’un modèle assez descendant, normatif, prescriptif à un modèle ascendant qui procède de l’attente réelle de nos concitoyens en matière de protection sociale. Ceci dans le but que les réponses apportées soient pertinentes.

Cette démarche rejoint la responsabilité sociale et environnementale, qui procède de l’implication des parties prenantes et donc des bénéficiaires dans la fabrique des réponses et l’évolution des organisations.

Je suis persuadée que nous avons intérêt à nous investir rapidement dans des réflexions disruptives comme celles que vous avez menées ce matin. Dans le domaine de la prévoyance, l’anticipation des situations futures peut difficilement se faire sans la participation des intéressés.

A l’occasion de l’élaboration de la loi du 11 février 2005, à laquelle j’ai contribué, une étrangeté « anti-législative » est apparue : la notion de projet de vie.  Le CFAD réinterroge cette notion. La personne en situation de handicap ou de fragilité est, dans un premier temps, confrontée à une rupture de vie.  Sans appui à la demande, la notion de projet est extraordinairement fragile et précaire. Il s’agit donc de construire une forme d’intermédiation et d’assurer une continuité de la protection sociale.

Merci encore au CFAD. Nous allons nous retrouver pour prolonger la réflexion.

Introduction Institutions de Prévoyance et Mutuelles – CFAD

Le CFAD, Collectif France pour l’Appui à la Demande, association Loi 1901, rassemble plus de 70 opérateurs, associations et fédérations. Il promeut la logique de la demande qui consiste à soutenir l’émergence des attentes des personnes en situation de fragilité (handicap, grand-âge, exclusion, protection de l’enfance) et la construction de réponses en fonction de leur situation, de leur projet et des besoins qui en découlent.

Le CFAD assure la continuité et le développement à grande échelle du projet Assistance au Projet de Vie (APV). Cette expérimentation initiée par la Fegapei puis portée par Nexem avec le soutien déterminant de l’Ocirp et de Klesia a obtenu des résultats probants. L’enjeu est de généraliser l’accès à cette assistance pour faire face aux situations de fragilité. Soutenues par des APV, les personnes concernées et leur famille renforcent ainsi progressivement leurs capacités à dire, à décider et à agir. Elles concrétisent leurs droits en redevenant maîtres de leurs choix et de leurs parcours.

Le CFAD sollicite le soutien des Institutions de Prévoyance et des Mutuelles pour réussir ce pari et apporter des solutions nouvelles pour vos clients (personnes directement concernées, référents handicap, salariés aidants et employeurs).

En tant qu’Institution de Prévoyance et Mutuelle, au travers des solutions que vous portez, vous sécurisez les personnes qui sont confrontées à des risques de perte d’autonomie. Le CFAD apporte de nouvelles perspectives pour de très nombreux français proches-aidants ou en situation de vulnérabilité. Ensemble, nous pourrions œuvrer plus efficacement encore à une société plus inclusive, respectueuse des choix et des droits des personnes en situation de fragilité.

Paris, France le 26 janvier 2023 – De la logique de l’offre à celle de la demande. La réponse du Collectif France pour l’Appui à la Demande.

Crédit : Jeanne Frank – Cocktail Santé