SYNTHÈSE DES ECHANGES

Serge GUERIN est sociologue, professeur à l’INSEEC, spécialiste des questions liées aux aidants, au vieillissement et à la seniorisation de la société, des enjeux de l’intergénération et des théories de l’éthique de la sollicitude.

Joël RIOU est président et fondateur de la société Responsage, spécialiste des salariés aidants et de l’accompagnement social en entreprise.

Introduction de Marie-Anne MONTCHAMP, Directrice générale de l’OCIRP

La question des salariés proches aidants (salariés qui, en plus de leur travail, aident régulièrement, à titre non professionnel un proche en perte d’autonomie – âgé ou en situation de handicap – ou atteint d’une maladie chronique) est délicate à traiter car elle relève à la fois de la sphère privée et de la sphère professionnelle et de l’interaction entre elles. Elle « fait bouger la représentation que nous nous faisons du travail » et appelle « une adaptation de la réponse dans le champ de la protection sociale et en particulier dans le champ de la prévention sociale complémentaire »

La puissance publique a été poussée à s’emparer du thème des salariés proches aidants grâce au travail de « défricheurs » dont le Lab OCIRP fait partie. Nous sommes convaincus que la protection sociale complémentaire doit prendre en compte la situation réelle des individus et apporter des réponses situationnelles.

La situation actuelle des salariés proches aidants

Intervention de Serge GUERIN, sociologue

Entre un modèle de société dans lequel les individus sont en concurrence et celui d’une société humaniste qui produit de la solidarité, on s’aperçoit que la deuxième vision est celle qui est efficace. En effet « c’est avec les maillons faibles qu’on se renforce », car être attentif aux fragilités implique que l’on développe la cohésion sociale.  

Le rôle des aidants est primordial, car sans eux notre système de santé ne tiendrait pas. Si l’on chiffrait le nombre d’heures de travail que fournissent les 11 millions d’aidants, on arriverait à une somme correspondant aux 2/3 de toutes les dépenses de santé. « Sans les aidants le système de santé s’écroule ». Il est donc dans l’intérêt de la collectivité de les accompagner.

Un aidant se caractérise par sa présence à celui dont il s’occupe. L’entreprise, de son côté, est-elle présente, répond-elle aux besoins ? Dans le contexte actuel, marqué par des difficultés de recrutement dans certaines branches professionnelles, être présente quand les salariés sont en difficulté est un argument pour attirer les compétences et fidéliser.

Ce qu’attend l’aidant est de ne pas se trouver acculé, limité dans ses choix, d’être libre de continuer à avoir son autonomie, de pouvoir changer, se former … Pour cela il doit être compris, soutenu et valorisé. L’entreprise, en le prenant en compte, apprend aussi que « nous tous, même la personne la plus forte qui soit, a aussi besoin de cet accompagnement » car nous sommes tous fragiles à un moment ou un autre. L’image de l’entreprise devient plus positive, car les relations sont différentes lorsque le salarié sait que l’on portera attention à lui. La société tout entière y trouve également un intérêt, car une personne qui se sent bien aura, par exemple, moins recours à la médication. 

Dans le monde du travail, il faut reconnaître que les choses évoluent. La prise de conscience est réelle. Cependant, il reste difficile pour un aidant de se définir comme tel. La période COVID, avec la mise en place du télétravail, a permis aux DRH de percevoir la réalité de la vie des salariés.

L’entreprise doit emmener tout le monde dans cette nouvelle vision, dont les syndicats, qui sont encore peu mobilisés.

 « La question des salariés aidants est aussi celle de l’accompagnement social tout au long de la vie », celui de la jeunesse, de la naissance des enfants et de toutes les difficultés rencontrées.

« La société bouge, elle a son rythme, elle n’est pas toujours liée à ce qui se passe en haut (…) ; les acteurs de la société sont capables de répondre à cette quête de solutions ».

Intervention de Joël RIOU, fondateur de Responsage

Le baromètre annuel de Responsage a montré l’ampleur des besoins recensés en 2021 en relevant une augmentation de 25% de la sollicitation du service par les salariés aidants. 

L’activité du service avait commencé sur le grand âge, qui représente 73% des demandes, auxquelles s’ajoutent la maladie (12%) et le handicap (15%). Le besoin d’accompagnement sur l’aide aux âgés concerne les problèmes d’hébergement définitif ou temporaire, et, fait nouveau, le besoin de trouver des recours pour gérer les conflits avec les prestataires.

Les demandes portent aussi sur les financements à solliciter et les procédures administratives. 

Dans le domaine du handicap la première question posée est celle du financement du handicap de l’enfant, puis celles de l’aménagement du domicile et enfin l’organisation de la vie scolaire avec la difficulté à trouver des professionnels (tels que les orthophonistes).

Dans le domaine de la maladie le thème principal des demandes porte sur les possibilités de répit pour les aidants.

Les tendances récentes montrent une diminution des demandes sur les violences conjugales mais une augmentation importante des demandes sur les tentatives de suicide des adolescents dans un contexte de post-confinements.

Le phénomène majeur constaté actuellement est la difficulté pour nos collaborateurs à accompagner les familles jusqu’à une solution dans l’aide à domicile et l’hébergement où l’on se heurte à des refus de prise en charge faute de personnel. « Cette crise des ressources humaines devient ingérable » : turnover important (jusqu’à 50%), difficultés de recrutement, de formation. 

Dialogue avec la salle

Serge GUERIN remarque que « la première manière d’aider les personnes c’est d’aider les professionnels » or, il y a des déserts de services à la personne

De la salle : Que penser de l’idée de zones franches pour les territoires en situation de désert médical et de désert de services à la personne et des loteries solidaires ?

Joël RIOU souligne l’état contraint des finances publiques. On attend davantage de médecins à partir de 2030 seulement. Serge GUERIN évoque le rôle que peuvent jouer les enseignants pour inciter les jeunes à se tourner vers ces métiers de services. Partir du territoire, qui peut se mobiliser est en effet important et cet appel à loterie peut constituer un levier.

Dans la salle : Un jeune diplômé avec contrat (pas toujours à temps plein) ne peut pas financer un véhicule.

Joël RIOU : L’obligation à terme du tout électrique va progressivement compliquer cette problématique. Serge GUERIN évoque l’aide au financement du permis de conduire mise en place par Myriam EL KHOMRI et la réflexion sur ce problème du véhicule. Il souligne les initiatives mises en place sur le terrain (flotte de véhicules, meilleure organisation locale du travail). 

Serge GUERIN : Tant que l’on n’accepte pas la réalité de la fragilité, du handicap, du vieillissement ? On ne reconnait pas les aidants. Nos représentations doivent changer.

Mieux identifier et soutenir les salariés proches aidants

Détecter les proches aidants dans l’entreprise

  • Joël RIOU : insister sur la formation/information des DRH et des managers 
  • Il existe une demande forte des entreprises pour la mise en place de cycles de conférences à destination des RH, pour réfléchir à ce qu’on peut mettre en place, s’inspirer de ce qui se pratique ailleurs avec succès
  • Les managers sont invités à réfléchir sur leur propre vulnérabilité, ce qui est un moyen de les sensibiliser à la problématique. Ce nouvel axe de développement des managers génère un changement de vision dans l’entreprise.

  • Serge GUERIN : des pistes pour inciter les aidants à s’exprimer
  • Le frein est l’inquiétude de se fragiliser en faisant connaitre sa situation d’aidant. Mettre en valeur ce qui est fait par l’entreprise, avec l’accord de la personne concernée, peut se révéler incitatif, être un déclencheur pour inciter les autres personnes dans une situation comparable à parler et chercher à leur tour de l’aide.
  • Proposition d’intégrer, lors de l’évaluation individuelle des managers, une question sur ce qui a été réalisé par rapport aux aidants.
  • Intervention de la salle sur le rôle des Services prévention santé (SPS), où les entreprises peuvent adresser leurs salariés, disposent d’une salle de téléconsultation.

Pistes d’amélioration du soutien aux salariés proches aidants

Joël RIOU identifie les besoins prioritaires : 

  • Les aidants doivent avoir la « capacité à déposer le fardeau » donc il faut leur offrir un soutien psychologique, une aide à s’organiser, trouver les solutions, et décharger le salarié du problème du temps (économiser le temps, car la prise de rendez-vous avec les professionnels est très longue et difficile), l’aider à trouver des financements ciblés.
  • Importance du congé rémunéré de l’aidant : les entreprises commencent à réfléchir à abonder ce qui existe dans le droit commun.
  • Permettre aux aidants qui s’arrêtent pour aider un proche de conserver le droit à retraite en totalité, point fondamental. Les acteurs de la Prévoyance ont un rôle à jouer.

Serge GUERIN :

  • Ecouter les initiatives de « la société du bas » : par exemple l’idée du don de RTT (même si le succès en a été limité).
  • Valoriser ce que fait l’aidant, en mettant en lumière les compétences qu’il a acquises en tant qu’aidant.
  • Interventions de la salle
  • Rôle déclencheur du DRH, rôle de prévention dans l’entreprise. Nécessité de définir une « identité » d’aidant dans laquelle on peut se reconnaître.
  • Beaucoup d’inégalités territoriales sont révélées par les saisines du Défenseur des droits. La fracture numérique reste un vrai problème. Le rôle du Défenseur des droits est mal connu, surtout des personnes âgées ; il faut informer, inciter à le saisir.

Conclusion de Jean-Manuel KUPIEC, conseiller de la Directrice générale de l’OCIRP

Le Lab OCIRP a l’ambition d’élargir son regard sur notre société. Soyons conscients qu’en 2030 un salarié sur 4 sera aidant. La société doit agir, prendre en compte le vieillissement de la population. La réponse est aussi assurantielle.

Rendez-vous le 6 octobre 2022, à l’occasion de la Journée Nationale des Aidants. Le Lab OCIRP présentera les résultats de la 2èmes étude « Salariés aidants et dialogue social » ? réalisée avec l’Institut Viavoice et organisera des tables rondes sur le sujet.