La période actuelle est propice aux réflexions et propositions dans le domaine de l’autonomie.
Le Président de la République a annoncé en juin 2018, à l’occasion du Congrès de la Mutualité française, la présentation d’un projet de loi sur le financement de l’autonomie pour la fin de l’année 2019. Pour préparer ce texte, une large concertation nationale sur le Grand âge et l’autonomie a été lancée en octobre 2018. Au cours des derniers mois, plusieurs réflexions et propositions ont été formulées sur le sujet : rapports du HCFEA, du Comité Consultatif National d’Ethique, rapport de Dominique Gillot, présidente du CNCPH, propositions de loi sur les proches aidants … La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) a posé l’acte I. Il est temps à présent de passer à l’acte II : celui du financement.
Les mutuelles et institutions de prévoyance, organismes à but non lucratif (OBNL), engagés sur le terrain de l’autonomie, ont toute légitimité pour travailler ensemble sur ce sujet et être force de proposition notamment dans le domaine de l’assurance.
Le Lab Autonomie, mené conjointement depuis janvier 2018 par l’OCIRP et la Mutualité Française, formule 5 propositions – dont certaines seront consolidées en 2019 dans le cadre de la poursuite de ses travaux et réflexions. Ces orientations communes ont vocation à faire progresser la couverture du risque de perte d’autonomie et à nourrir la concertation en cours sur le Grand âge et l’Autonomie. Elles ont notamment pour ambition de favoriser une couverture autonomie obligatoire ou, dans un premier temps, la plus généralisée possible.
Proposition n°1 : Pour un accompagnement tout au long de la vie. Faire des garanties autonomie un outil de prévention et d’accompagnement mobilisable dès la souscription et jusqu’à la fin de vie
Mutuelles et institutions de prévoyance doivent capitaliser sur leur relation forte avec leurs bénéficiaires pour combler le manque de sensibilisation au risque de perte d’autonomie, perçu comme lointain. Les contrats autonomie devraient remplir une fonction d’assembleur de services : information, assistance administrative et juridique, accès aux droits, prévention santé et droit au répit, adaptation du domicile …
Les garanties devraient notamment prendre en compte les temps de vie (un moment important de sensibilisation est, par exemple, celui du départ en retraite) et renforcer les actions de prévention.
Cela implique également un effort important d’information de la part des mutuelles et institutions de prévoyance afin de favoriser la bonne compréhension du grand public sur l’offre mobilisable en fonction des besoins tout au long de la vie dès lors que le contrat est souscrit. Les premières années seraient ainsi consacrées à des actions de prévention, information, conseils puis un accompagnement effectif dès la perte avérée d’autonomie (mécanisme de la grille AGGIR).
Il conviendrait également de travailler sur une offre de services pertinents, à domicile, en faveur de la prévention, au bénéfice des âgés comme des proches aidants, notamment ceux qui sont en activité. Le sujet du financement pourrait également être davantage structuré, permettant d’identifier une large palette de solutions accessibles au plus grand nombre de configurations familiales. Les solutions viagères modernisées constituent de bons leviers.
Un objectif prioritaire identifié par le Lab Autonomie est d’agir en prévention primaire et secondaire en actionnant de manière coordonnée les compétences des différents OBNL.
Quelques pistes ont été travaillées dans le cadre du Lab Autonomie et doivent être approfondies :
- Proposer une aide à la maîtrise du budget au passage à la retraite pour sensibiliser sur les questions de l’adaptation au logement et proposer des services correspondants ;
- Réaliser un diagnostic bien être-autonomie pour évaluer le logement au regard des besoins liés au vieillissement ;
- Faire réaliser les petits travaux ou dépannages chez les séniors par un service de conciergerie ou gardiennage ;
- Développer une application qui permettrait de scorer le logement pour donner notamment une estimation patrimoniale ;
- Réaliser des entretiens individualisés le plus en amont possible afin de sensibiliser globalement les séniors aux différents risques, les OBNL bénéficient d’une image de confiance.
Il conviendrait mettre en place des outils de coordination des différents services/actions proposés par les OBNL afin qu’une réponse adéquate puisse être proposée aux moments clé de chaque parcours de vie.
Les OBNL pourraient également mutualiser des recherches en commun, par exemple dans le domaine médical.
Proposition n°2 : Pour une assurance autonomie vraiment complémentaire. Les OBNL se positionnent comme porteurs d’assurances complémentaires -et non substitutives – à la solidarité nationale.
La prise en charge publique de la perte d’autonomie étant importante en France, le Lab Autonomie estime qu’il ne s’agit ni de positionner l’assurance autonomie comme substitutive à la solidarité nationale, ni de créer de toutes pièces une cinquième branche de Sécurité sociale. Parmi une palette de solutions diverses pour relever le défi de l’autonomie, l’assurance a un rôle majeur à jouer Il s’agit pour les OBNL réunis dans le Lab Autonomie de définir ensemble, en lien avec les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, une couverture véritablement complémentaire.
Quelle définition commune de la perte d’autonomie ?
Une définition commune aux organismes à but non lucratif, basée sur la grille AGGIR fait consensus au sein du Lab Autonomie, sous certaines conditions :
- Intégrer les organismes payeurs à la gouvernance de la grille. Cette dernière n’étant pas un référentiel figé, une éventuelle évolution doit pouvoir être concertée avec l’ensemble des acteurs afin qu’elle soit pleinement adaptée ;
- S’assurer d’une continuité base / complémentaire pour les personnes en GIR 1 ou GIR 2. En effet, les restes à charge les plus importants se retrouvent chez les individus en état de dépendance lourde ;
- Réfléchir à la convergence entre la grille GEVA et la grille AGGIR qui soulignent une discrimination à l’âge que souhaite voir supprimée les directives européennes ;
Quelle articulation entre l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la couverture assurantielle ?
Dans une logique de complémentarité et de concertation sur la grille, l’obtention de l’APA devrait déclencher automatiquement la couverture complémentaire.
Proposition n°3 : Pour un référentiel commun. Les organismes à but non lucratif (OBNL) travaillent à définir le périmètre et les caractéristiques communes d’offres assurantielles lisibles, attractives et accessibles
Les membres du Lab Autonomie s’accordent sur les éléments suivants :
- Assumer le fait que la garantie autonomie n’a pas vocation à couvrir en tous les cas la totalité des « reste à charge ». Toutefois, la réduction du reste à charge des ménages est une priorité pour les assureurs non lucratifs.
- Les modalités d’un « bouclier financier », prenant en compte les cas où les deux membres d’un couple entrent en grande dépendance méritent aussi d’être explorées par les OBNL.
- Le montant de la rente est évidemment lié au montant de la cotisation, à l’âge de début de cotisation (les membres du Lab Autonomie préconisent une souscription à partir de 40 ou 50 ans) et au caractère obligatoire ou facultatif de l’assurance (voir plus bas). Il pourrait être exprimé en euros pour plus de lisibilité.
- L’accessibilité des garanties est favorisée par la mutualisation propre aux OBNL : contrats collectifs ou couverture d’une population large de toutes classes d’âge. L’accessibilité tarifaire a un lien direct avec la généralisation ou l’éventuelle obligation de souscription.
- Les membres du Lab Autonomie s’accordent sur la nécessité d’appréhender la portabilité des droits, de la souscription au décès, et durant des carrières professionnelles de moins en moins linéaires. La portabilité pourrait être facilitée par des mécanismes de péréquation, de compensation et de provisionnement (par exemple pour éviter une forte hausse de la cotisation au moment du départ à la retraite).
- La lisibilité (définition claire de la couverture : capital, rente, services …), la simplification et l’attractivité des contrats (par rapport à d’autres produits comme le viager ou l’assurance vie) doivent faire l’objet d’efforts coordonnés.
- La confiance dans les garanties autonomie doit être renforcée par un renforcement de la lutte contre la déshérence des contrats, grâce à une information régulière de l’assuré, de son entourage à des moments clés et en créant un fichier national accessible aux professionnels du droit et de la santé.
- Des services pertinents et l’attention portée aux aidants sont évidemment partie intégrante d’une offre assurantielle complémentaire de qualité (voir les propositions n°3 et 4).
Les réponses apportées à ces thématiques par les organismes à but non lucratifs pourraient former la base d’un référentiel commun. Ce référentiel pourrait ouvrir droit à des avantages fiscaux et/ou sociaux à définir en étroite concertation avec les pouvoirs publics.
Proposition n°4 : Pour la reconnaissance des aidants. Pour le Lab Autonomie, la question des proches aidants est un nouvel enjeu de la protection sociale. Il importe de favoriser leur reconnaissance sociale en entreprise et plus généralement de les accompagner de manière individualisée
Au-delà de la question d’un éventuel « statut », les proches aidants ont besoin de souplesse, d’accompagnement, de soutien et de temps. Il est important que l’ensemble de la population puisse être sensibilisé, chacun pouvant à un moment ou un autre devenir aidant.
Tout au long de la vie professionnelle, l’entreprise, la société civile en lien avec les pouvoirs publics devraient contribuer à « normaliser » et à informer sur la situation de proche aidant (par exemple en organisant des états généraux des âgés).
Le rôle de l’entreprise et des branches professionnelles :
Dans le contexte du vieillissement de population et d’augmentation du taux d’activité des 50-70 ans, tranche d’âge où l’on retrouve les aidants potentiels, l’augmentation du nombre d’aidants actifs sera mécanique. L’entreprise est directement impactée : absentéisme, présentéisme, surmenage, santé et QVT, productivité et employabilité. C’est un enjeu de performance sociale. Afin de ne pas subir mais au contraire d’anticiper, les entreprises ont vocation à proposer des dispositifs à la carte, transversaux, notamment en étendant aux aidants des mesures existantes, acceptées socialement (comme le congé pour enfants malades). Les congés des aidants pourraient être rémunérés et facilement fractionnables (urgences, rendez-vous médical …).
La souplesse éviterait l’écueil de la stigmatisation et aurait des répercussions positives pour l’entreprise qui en contrepartie gagnerait en productivité et en efficacité tout en s’engageant dans une véritable approche RSE.
Au-delà des actions de court terme proposées en fonction des situations individuelles, l’entreprise a en effet vocation, à plus long terme, à déployer des actions solidaires.
Les branches professionnelles ont un rôle à jouer, notamment en utilisant au bénéfice des proches aidants les ressources liées au degré élevé de solidarité. Un travail est actuellement mené dans certaines branches sur la conciliation des temps de vie, comme dans le secteur de l’artisanat.
Parmi les principaux enjeux identifiés pour l’accompagnement des proches aidants :
- L’accompagnement du primo-aidant comme priorité : il faut l’aider à comprendre la situation d’aidant dès qu’elle survient, à se repérer dans l’environnement pour y voir plus clair sur ce qu’il peut lui-même apporter et sur ce qu’il peut solliciter auprès d’un tiers qu’il devra identifier et solliciter.
- La prévention : acculturation de la notion d’aidant à tous les âges de la vie ; lutte contre l’isolement ; dans l’entreprise : sensibilisation, formation, dédramatisation et outils d’information.
- La question du répit : l’aidant est soulagé de ses tâches habituelles et peut disposer de temps pour lui et vivre une relation différente avec son proche. Sensibilisation aux limites du rôle de proche aidant et accès aux aides professionnelles.
- La prise en compte du couple aidant-aidé.
Proposition n°5 : Pour un partenariat avec les pouvoirs publics. Un consensus est apparu au sein du Lab Autonomie en faveur d’une assurance complémentaire généralisée ou obligatoire. Cette perspective pourrait être favorisée par plusieurs initiatives
Sur la base des propositions précédentes et dans le cadre de la prise en charge publique qui sera décidée par le Gouvernement et le Parlement, le Lab Autonomie soutient les orientations suivantes :
- Envisager la cible d’une assurance complémentaire autonomie obligatoire, sous une forme et selon des étapes et des modalités à définir par les pouvoirs publics en lien étroit avec les opérateurs (contrats labellisés, inclusion ou non dans les contrats complémentaires santé …).
Le développement le plus large possible de l’assurance garantirait la mutualisation la plus efficace du risque, l’accessibilité et réduirait la charge pesant sur les comptes publics et sociaux.
L’inclusion obligatoire dans les garanties complémentaires santé est une des options soutenues par la FNMF.
- Mettre en place de nouvelles règles prudentielles pour favoriser le développement de l’assurance autonomie.
Deux options sont possibles :
1) Demander une dérogation aux règles de la Solvabilité II dans le domaine de l’assurance autonomie.
2) L’Etat pourrait apporter sa garantie en jouant le rôle de réassureur, ou encore d’assureur au-delà d’une certaine durée de prise en charge. Ces solutions permettraient de ne plus soumettre l’assurance aux contraintes actuelles de provisionnement pesant sur les contrats et les comptes des assureurs. En contrepartie, les OBNL pourraient être incités à investir dans les structures et la filière professionnelle de l’aide aux personnes âgées.
- Poursuivre pendant l’année 2019 une concertation approfondie entre les pouvoirs publics et les professionnels sur les questions de la grille AGGIR et de son évolution, de la labellisation des contrats et des incitations sociales et/ou fiscales dont ils pourraient bénéficier.
- Inciter les partenaires sociaux à engager des négociations collectives sur la question de l’autonomie et des proches aidants (salariés mais aussi non-salariés).
Mutuelles et institutions de prévoyance : atouts et complémentarités
Les atouts des organismes à but non lucratif (OBNL):
- Une approche collective commune (couverture d’une population homogène par un groupe mutualiste, couverture d’une branche ou d’une entreprise par une institution de prévoyance)
- Le rôle des organismes mutualistes dans l’offre de soin et sa régulation (gestion d’EHPAD, d’hôpitaux, de soins à domicile, définition des modalités d’accompagnement et de suivi de référence, influence sur le coût des prestations …) et leur capacité à animer le tissu associatif pour développer expérimentations et bonnes pratiques
- La capacité de couverture des salariés et le rôle dans le dialogue social
- L’aptitude commune à faire émerger une vision de long terme en complément du système public de solidarité.
Les complémentarités entre mutuelles et institutions de prévoyance :
- La distinction entre l’approche des organismes mutualistes, qui porteraient des garanties individuelles, et les institutions de prévoyance, vouées aux contrats collectifs, est à nuancer et de moins en moins pertinente.
- Les membres du Lab Autonomie estiment qu’il existe un espace suffisant pour différentes approches, qui ne doivent pas être opposées. On peut envisager par exemple une approche viagère ou une inclusion dans une complémentaire santé dans le cadre d’une garantie annuelle. En réalité, il faut dépasser ces différences.
- Une complémentarité entre couverture individuelle et collective peut être trouvée pour assurer une couverture et un accompagnement continus.
- Sur la question des aidants, les approches des mutuelles et institutions de prévoyance peuvent se compléter (aidants professionnels, proches aidants salariés …).