Comment les femmes proches aidantes concilient-elles vie privée et vie professionnelle ?
Charge physique et mentale, relation avec la hiérarchie et les collègues, solutions proposées ou non par l’entreprise …
Cinq salariées proches aidantes ont accepté de témoigner de leur quotidien dans l’ouvrage Dessine-moi un aidant publié par l’OCIRP, avec Vovoxx Média en septembre 2023. Merci à Agnès, Cindy, Emilie, Marianne, Valérie. Les remerciements du LAB vont également à La Compagnie des aidants et à Viavoice.

Agnès, 55 ans, cadre dans un grand groupe, mère de trois enfants dont un enfant en situation de handicap : « On gère l’imprévu sans arrêt. Ça en devient une qualité au travail. »

Qu’est-ce qui est le plus compliqué au quotidien ?

« Je n’ai pas de vie sociale à part au travail et les weekends où son père la prend. Je ne fais rien. Avant, je faisais beaucoup d’activités sportives, mais j’ai quasiment tout arrêté. C’est très compliqué de gérer une vie au travail, l’aide au quotidien et de caser autre chose dans la semaine, sachant que physiquement et nerveusement, c’est difficile. Physiquement, s’occuper d’une personne en situation de handicap dont vous êtes l’auxiliaire de vie matin et soir, c’est dur. Il faut aussi gérer tous les aléas administratifs. En cas de grève, pendant le Covid, ma fille n’était plus accueillie. Je suis aussi un petit chef d’entreprise, car je gère les agendas des personnes qui viennent m’aider. La difficulté vient aussi du fait que je suis seule et que tout repose sur moi (…). »

Est-ce-que votre entreprise aurait un rôle à jouer pour vous aider ?

« Il y a des choses à mettre en place. Dans mon entreprise il y avait des structures en place, qui n’étaient pas parfaites. On avait des assistantes sociales qui étaient salariées de l’entreprise. Elles étaient très présentes. La personne qui me suivait était très compétente et elle m’a permis de connaitre mes droits. Par exemple, au début, je ne savais pas qu’il y avait des aides financières pour financer des auxiliaires de vie quand je partais en vacances, pour des poussettes etc… (…) ».

De quoi avez-vous le plus besoin aujourd’hui ?

« De répit. Mais au niveau du travail, c’est de savoir que je peux diminuer mon temps de travail et que je suis toujours considérée comme un élément utile de l’entreprise. Je peux fournir beaucoup de valeur ajoutée à mon entreprise. Mais je ne peux pas le faire à temps complet et il manque une réflexion sur la manière d’employer les gens qui sont aidants et qui sont un peu moins « présents ». Il faudrait avoir de la visibilité sur les secteurs dans l’entreprise où on pourrait employer les aidants. Ce n’est pas structuré, on a des droits mais il ne faut pas que ça gêne est c’est à nous de nous débrouiller. (…) ».

Cindy, 32 ans, salariée du secteur de l’assurance, aidante de son père paraplégique : « La direction est au courant mais mon équipe ne le sait pas. »

Vous arrivez à avoir une vie personnelle ?

J’essaie. Pendant longtemps pas du tout, je ne sortais pas et je culpabilisais en me disant que je ne pouvais pas avoir une vie personnelle alors que mon père était handicapé. J’ai rencontré quelqu’un qui m’a motivée à reprendre une vie. Aujourd’hui, je n’hésite pas à prendre du temps pour moi.

Vous auriez besoin de quoi aujourd’hui ?

Des droits à des jours en plus pour les rendez-vous. Je dois régulièrement aller au tribunal et j’aimerais ne pas avoir à poser un jour de congés. L’année dernière, je devais voir le médecin en août. Je ne pose jamais de congés en juillet-août, je laisse cette période aux salariés qui ont des enfants. Là, je devais poser un jour, mais on n’a pas voulu me le donner. Il faudrait avoir des jours que l’on peut poser, sans avoir à se justifier. Le fait d’avoir des horaires libres est le plus important, je pense.

S’il y avait ces jours, vous oseriez dire que vous êtes aidante ?

Oui, car ce serait intégré au système. (…)

Emilie, 40 ans, salariée dans une grande entreprise, mère de trois enfants et aidante de sa fille de 14 ans victime d’un accident : « Je suis en grande souffrance. Je me bats pour rester au travail. »

Le travail vous fait du bien ?

« Oui. Ma fille est partie en centre de rééducation. D’un côté, c’est une très bonne chose mais d’un autre côté, on m’a enlevé quelque chose. Le travail m’occupe, j’y pense moins. J’ai une sensation d’être un peu utile comme ça. Quand on est aidant, on se sent très seule, moi c’est comme ça que je l’ai ressenti, ne sachant pas quelles étaient les bonnes décisions, les démarches, mes droits. »

Vous avez l’impression que votre entreprise a bien fait les choses, qu’elle a été à l’écoute ?

« Ils sont bienveillants. Ils ont voulu me faire comprendre que je n’étais pas très objective. Il faut garder en tête que ce sont des managers qui doivent justifier des choses. Quand j’ai repris le travail, ils ont accepté que je revienne à temps partiel. Ils m’ont dit qu’ils allaient vraiment suivre mon travail, estimer la quantité de travail que je devais produire et là je me suis sentie un peu « étudiée », « remise en question ». Ça a été compliqué pour moi, car j’étais dans l’entreprise depuis déjà quatre ans… Ils m’ont interdit de faire du télétravail, car ils ne pourraient pas alors me « surveiller ». Il fallait que je reprenne pied dans le monde du travail. Ils ont fini par se rendre compte que mon état se dégradait. J’ai craqué en pleurant au travail et ils décidé de me mettre deux jours en télétravail. Ils sentaient que j’allais moins bien. C’est compliqué, car je n’arrive pas à justifier pourquoi je prends du retard, j’ai l’impression d’être nulle. (…) ».

On a l’impression que pour vous, vous n’êtes pas aidante et que l’entreprise n’est pas partenaire…

Je ne me suis jamais sentie aidante. Pour moi, je suis une maman qui essaie de faire en sorte que la vie de ses enfants ne se résume pas à une chute. Je suis une maman qui essaie de se battre. Je me suis rapprochée d’une association (FPC35) et on m’a dit à ce moment-là que j’étais aidante. Mais donner du temps et de l’énergie, c’est naturel.

Avez-vous l’impression que vous êtes en train d’acquérir de nouvelles compétences ?

Oui, tout à fait. (…) J’ai appris apprendre à écouter. C’est un peu de la psychologie à ce stade car ma fille, c’est un peu Dr Jekyll et Mr Hyde, un coup ça va et deux secondes après, plus du tout. Il faut savoir être calme pendant une crise, apprendre à rassurer les gens autour.

Vous pensez que ces compétences peuvent être valorisées dans l’entreprise ?

« Elles pourraient l’être. Je rencontre des gens qui sont dans des situations difficiles et je leur dis « appelez-moi, je comprends ». J’ai une collègue qui est aidante d’un de ses parents et on en parle, j’essaie de partager mon expérience. Ce n’est pas forcément facile, mais c’est ce qui manque quand vous devenez aidant. Quand ça m’est arrivé, je ne savais pas où chercher et quoi chercher. On sait prioriser un peu plus les choses aussi. » (…)

Marianne, infirmière dans un centre hospitalier, aidante de sa mère âgée : « Il faudrait que ça ne soit pas à nous d’aller voir la DRH pour demander des choses »

Avez-vous dit en interne que vous êtiez aidante ?

« Oui, mais ce n’est pas pris en compte. Je ne voulais pas écouler mes jours de repos l’année dernière pour pouvoir les garder pour la fin de l’année, car ma maman s’est fait opérer et j’avais écoulé toutes mes heures supplémentaires. Donc je dois m’arranger avec mes collègues qui, eux, sont plus compréhensifs. »

On aurait pu penser que dans le secteur du soin, le sujet aurait été mieux pris en compte…

« Je pense que là, c’est la personne qui n’est pas à l’écoute. Je ne pense pas que ça serait pareil avec d’autres cadres. Elle fait son travail comme il faut, elle n’entend pas les besoins donc il n’y a pas de problème … ».

Que faire pour sensibiliser les encadrants à la situation des aidants ?

« Je pense à des conférences ou des colloques au niveau des DRH. Mais pas seulement à propos des aidants de personnages âgées. Dans le milieu hospitalier, le fait d’être aidant a un impact énorme sur notre travail. C’est vraiment la gestion du temps de travail qui est compliquée. Ils parlent de crèches etc… mais ça n’avance pas, alors que ça pose problème ! Je ne comprends pas que ça n’évolue pas. »

Par rapport à votre expérience, de quoi avez-vous le plus besoin ?

« Moi c’est du temps et de l’information par rapport aux aides auxquelles je peux avoir droit. Personne n’a les informations. Même financièrement il y a des familles qui sont obligées d’assumer, il n’y a pas toujours de la place dans les centres, ni l’argent. Mais ils préfèrent ne pas entendre plutôt que de gérer. » (…).

Valérie, 54 ans, salariée dans un grand groupe, mère de deux filles dont une souffrant de schizophrénie : « On avance seule. On passe sous le radar de l’entreprise.»

A quel moment vous êtes-vous considérée comme aidante ?

« A un moment, au milieu du confinement, ma fille est sortie de l’hôpital. cherchais des solutions sur Google jour et nuit. Je me suis abonnée à des comptes qui traitaient du sujet, le nom « aidant » est apparu et là j’ai compris. Je me suis renseignée au niveau des mutuelles aussi. Mais ça traitait beaucoup des personnes âgées, des handicaps physiques et très peu des handicaps psychiques. Du coup je ne me suis pas reconnue tout de suite. »

Quelle a été la démarche en interne ?

« J’ai parlé avec ma RH, j’ai regardé s’il y avait des mesures d’accompagnement et j’ai appris qu’il y avait des chèques emplois services qui aidaient. Je suis allé voir à la mutuelle et je me suis rendu compte qu’on pouvait faire de la sophrologie et être remboursé. J’ai passé deux ans à chercher des infos. Ca a changé, maintenant c’est sur la plateforme de notre groupe donc c’est bien, ça évolue, même si je pense qu’ils n’ont aucune idée des gens qui sont dans cette situation. »

Comment êtes-vous entrée en relation avec cette association pour votre formation ?

« En cherchant sur internet, j’ai compris que j’en avais besoin. Il y a dans cette structure une connaissance de la maladie (infirmiers, psychiatre, parent aidant). On apprend à prendre soin de soi et à gérer. Ça me permet de porter un autre regard, ça évite de faire un sur-investissement qui n’est bon pour personne. J’ai de nouveau une vie sociale, je peux partir en week-end, tout n’est pas centré sur de la maladie. Je vois bien les effets positifs. »

Votre situation d’aidante a-t-elle eu des impacts dans l’entreprise ?

« Il y a une période où c’était vraiment difficile. Je devais toujours avoir mon téléphone, elle m’appelait tout le temps, je devais calmer les crises d’angoisse etc… La charge mentale était très importante, tout était hachuré. »

Des actions ont été menées pour les aidants au sein de l’entreprise ?

« Je pense que non. Beaucoup de gens ne veulent toujours pas en parler, par peur d’être stigmatisé. L’entreprise ne sait pas combien on est à être dans ce cas, ils considèrent qu’il y a d’autres sujets à traiter. Maintenant, le mot « aidant » commence à circuler. Mais il n’y a pas d’actions pro-actives au sein même dans l’entreprise pour les salariés. Il y a une référente handicap, mais je pense qu’elle n’a pas d’écoute, de bienveillance. Elle est plus dans l’injonction, elle ne prend pas beaucoup de temps pour nous aider, elle ne nous facilite pas les choses. »

De quoi les salariés aidants ont-ils le plus besoin de la part de l’entreprise ?

« De ne pas être pénalisés au niveau du salaire. Eviter la stigmatisation de l’aidant à qui on ne donne pas d’augmentation car il a besoin d’être ailleurs de temps en temps. Mais surtout, les aidants ont besoin de souplesse, de plages horaires qui peuvent libérées si besoin. Pouvoir bénéficier du remboursement de la sophrologie permet de prendre soins de soi et c’est très important. »