Serpent de mer de la protection sociale depuis au moins vingt ans, le cinquième risque est lancé ! Le Gouvernement vient en effet de transmettre deux avant-projets de loi aux caisses de Sécurité sociale, un avant-projet de loi organique permettant la prolongation de la CADES et un avant-projet de loi ordinaire… dont le principal objet est de faire référence à un rapport à venir au Parlement : « Au plus tard le 30 septembre 2020, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de création d’un nouveau risque ou une nouvelle branche de Sécurité sociale relatifs à la perte d’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. »

Au moins deux lectures peuvent être faites de ces annonces.

La première lecture est un brin sceptique. Les déficits astronomiques filent et le temps presse. Il faut transférer rapidement la dette sociale née du COVID-19 à la CADES pour soulager la trésorerie de l’ACOSS et pour résoudre le casse-tête du financement de la Sécurité sociale sur 2020-2022. Mais transférer 136 milliards d’euros, sans augmenter les prélèvements obligatoires, nécessite de décaler l’échéance de la CADES, en la repoussant à 2033. Rappelons qu’il ne restait au 1er janvier 2020 « plus que » 90 milliards d’euros à rembourser. L’extinction du dispositif créé en 1996, et déjà prolongé en 2004 et 2010, était attendue pour 2024. Comme ce nouveau rallongement de la CADES relève difficilement de la prouesse grandiose, il convient de donner un peu d’espoir. D’où cette décision qui « crante » (courageusement ?) l’avenir. A court terme, le Gouvernement doit faire un nouveau rapport. Et à partir de 2024, 0,15 point de CSG supplémentaires sont fléchés pour la perte d’autonomie, soit 2,3 milliards d’euros.

La seconde lecture est à la fois plus dynamique et plus positive. La reconnaissance d’une « branche » ou d’un « risque » de Sécurité sociale – cette hésitation du rédacteur entre branche et risque nécessiterait une exégèse à elle seule – revient à donner à la perte d’autonomie une existence propre, un financement dédié et un suivi particulier dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale. Bien sûr, un premier effort important avait été réalisé avec la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en 2004, avec un Premier ministre – Jean-Pierre Raffarin – revendiquant la création d’une «cinquième branche de protection sociale». Bien sûr, il existe déjà des financements pour la perte d’autonomie, correspondant principalement à des dépenses de soins retracées dans l’objectif de dépenses d’assurance maladie. L’exposé des motifs de l’article 4 de l’avant-projet de loi écrit ainsi prudemment que ledit rapport «précise les conséquences devant en être tirées dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 dans le respect de l’objet et du champ de cette loi, notamment au regard des liens actuels d’interdépendance des dépenses visant à faire face à la perte d’autonomie avec celles de l’assurance maladie».

Les autres financeurs de la dépendance sont les collectivités locales, au premier rang desquelles les départements avec l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) et l’Aide sociale à l’hébergement. C’est pourquoi l’exposé des motifs de l’article 4 indique bien que cette évolution législative est «effectuée dans le respect de l’intervention de nombreux financeurs participant à cette politique aux côtés de la Sécurité sociale», c’est-à-dire «les conseils départementaux, et les communes, dont la libre administration a vocation à être garantie».

Reconnaître l’autonomie de ces dépenses par rapport à l’assurance maladie et bétonner l’affectation de recettes constitue une avancée majeure, appelée de ses vœux par Dominique Libault dans son rapport rendu le 28 mars 2019 «Grand âge, le temps d’agir». On a vu tout récemment encore, lors de la crise du COVID-19, les errements auxquels conduit de traiter le médico-social comme la dernière roue du carrosse du sanitaire. Le simple fait d’omettre les morts en établissement dans le décompte journalier, au début de l’épidémie, a été à la fois glaçant et révélateur.

Cinquième risque : la réalité se révèle moins glamour que le slogan

Cinquième risque… le terme peut laisser croire que tout sera pris en charge par la Sécurité sociale et qu’il n’y aura pas de place pour les assurances privées, qu’elles soient collectives ou individuelles.

C’est bien l’une des confusions majeures qu’il convient de dissiper. Parce qu’une telle ambition, à supposer qu’elle soit souhaitable, est tout bonnement impossible. Le rapport Libault chiffre les besoins supplémentaires en matière de perte d’autonomie des personnes âgées à 9,2 milliards d’euros en 2030. La différence existant entre le produit de 0,15 point de CSG (2,3 milliards d’euros) et ces 9 à 10 milliards d’euros peut déjà laisser rêveur : le rapport est de un à quatre. D’où la référence à une recherche de financements supplémentaires (a priori publics) dans le fameux rapport. Mais surtout, la dépense chiffrée par Dominique Libault à 9,2 milliards d’euros correspond principalement aux ressources humaines supplémentaires à domicile et en EHPAD, ainsi qu’aux revalorisations salariales nécessaires de ces personnels. C’est-à-dire une augmentation de dépenses de soins, qui sont déjà des dépenses de Sécurité sociale.

Le rapport Libault propose également de remplacer l’APA en établissement par une nouvelle allocation dépendance, dégressive en fonction du revenu, et pouvant représenter une diminution du reste à charge pour les personnes disposant d’un revenu compris entre 1.000 et 1.600 euros, c’est-à-dire les personnes situées juste au-dessus de l’aide sociale à l’hébergement. Un revenu de moins de 1.600 euros… On ne parle pas ici d’une retraite de moins de 1.600 euros, mais d’un revenu ce qui peut se révéler différent. Quelle réponse apportera alors ce fameux cinquième risque aux personnes disposant d’un revenu supérieur à 1.600 euros ?

La réalité se révèle moins glamour que le slogan : le cinquième risque ne pourra jamais couvrir TOUTES les dépenses de prise en charge de TOUTES les personnes âgées dépendantes, à commencer par les dépenses d’hébergement en établissement. En Sécurité sociale, le principe est clair : on cotise selon ses moyens et on reçoit selon ses besoins. Les dépenses de soins liés au grand âge resteront prises en charge par la Sécurité sociale. C’est déjà beaucoup. Mais aucune réponse de Sécurité sociale ne pourra traiter de manière satisfaisante la question des restes à charge en établissement, à l’exception des plus défavorisés bénéficiant de l’aide sociale à l’hébergement. Il faut également nous préparer aux évolutions à venir : nous assisterons demain, de plus en plus, à des restes à charge importants pour des prises en charge complexes à domicile.

Favoriser l’assurance dépendance, dans un esprit de partenariat public/privé

C’est sur le segment particulier du financement des restes à charge que peut et doit se développer l’assurance dépendance. Plus que jamais avec le cinquième risque. L’assurance dépendance sera en effet utile aux ménages qui ne souhaitent ni aliéner leur patrimoine ni solliciter leur descendance au moment du grand âge. Il est maintenant temps pour les pouvoirs publics de le reconnaître, dans la droite ligne de la proposition 164* du rapport Libault. Et donc de favoriser une assurance dépendance articulée avec l’APA, à travers un cadre clair et lisible et dans un esprit de partenariat public/privé.

* «Favoriser le développement de produits d’assurance privée facultative en mettant en place un cadre clair et homogène pour ces contrats afin de sécuriser les souscripteurs et de favoriser leur développement» (…). (Proposition 164 – Rapport de Dominique Libault : Grand âge, le temps d’agir. Ministère des Solidarités, 28 mars 2019)