L’ESS est en première ligne. L’après-crise ne se fera pas sans elle.

Quel est l’impact de la crise sanitaire sur les entreprises de l’ESS et les travailleurs sociaux? Comment les soutenir ?

Les entreprises sociales et solidaires sont frappées de plein fouet. Certaines sont en cessation totale d’activité, comme dans les secteurs du tourisme social et familial, du sport ou encore de la culture où l’activité est quasi inexistante et où les perspectives à court terme sont faibles.

D’autres sont en première ligne pour faire face à la crise sanitaire en intervenant au domicile et dans les établissements auprès des publics les plus fragiles partout sur le territoire. Ces secteurs ont dû cependant diminuer leurs activités pour les prioriser en fonction des urgences. Par exemple, dans le secteur de l’aide à domicile, on considère que l’activité est de 70%. D’une façon plus générale, sur l’ensemble des entreprises, le taux global d’activité est de 50%.

Si les difficultés sont encore nombreuses, l’UDES se félicite néanmoins des efforts inédits et importants consentis par l’Etat pour soutenir les entreprises et les accompagner vers la reprise de l’activité en préservant les emplois. L’UDES est en lien hebdomadaire avec les Ministres de l’Economie, du Travail, de la Transition Ecologique et Solidaire, des Solidarités et de la Santé, de l’Education Nationale et de la Jeunesse, en charge de la vie associative… Sur ces sujets, la France donne l’exemple.

Les entreprises de l’ESS connaissent d’abord des difficultés économiques et sociales. Les aides exceptionnelles mises en place par l’Etat dès le début de la crise (chômage partiel et prêts bancaires), ainsi que le dispositif de secours aux très petites entreprises de l’ESS lancé par le Haut-Commissariat à l’ESS cette semaine, sont nécessaires. Cependant, les entreprises sociales et solidaires ont du mal à accéder à certaines de ces mesures : difficultés pour accéder au dispositif d’activité partielle (complexité dans la constitution des dossiers, flou concernant l’articulation entre aide publique et activité partielle, manque de clarté et d’homogénéité dans le traitement des demandes d’une région à l’autre…), face aux graves problèmes de trésorerie, un accès aux prêts bancaires compliqué par les demandes des banques en matière de projection financière.

Dans plusieurs régions, en raison de leurs spécificités, les entreprises de l’ESS se voient parfois refuser des soutiens financiers (prêts garantis par l’Etat, fonds de solidarité, prêts mis en œuvre par les régions…). 

Ces refus ou difficultés d’accès viennent contredire la consigne officielle donnée au niveau national. Des calages sont donc attendus.

Sur la question de la prise en charge assurantielle des pertes d’exploitation, l’UDES plaide pour que le COVID-19 soit qualifié de force majeure afin que les contrats d’assurance puissent couvrir les préjudices. Dans ce contexte, le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, dite prime «PEPA», est difficilement envisageable pour nombre d’entreprises de l’ESS qui sont les plus touchées économiquement.

Pour les salariés des entreprises des secteurs social et médico-social, directement confrontées au COVID-19, l’UDES soutient le versement d’une prime allouée par l’Etat.

En parallèle des mesures d’aides exceptionnelles, les entreprises sociales et solidaires doivent pouvoir continuer à bénéficier des dotations et subventions qui leur sont allouées. Aujourd’hui, leur versement est hétérogène et varie selon les secteurs d’activité et les collectivités. Une instruction interministérielle permettant de clarifier cette situation est attendue sur ce sujet dans les prochains jours. 

Par ailleurs, nombre d’entreprises de l’ESS rencontrent des difficultés importantes et récurrentes pour se procurer des équipements de protection individuelle (EPI) : masques (homologués pour les salariés des secteurs sociaux et médico-sociaux) charlottes, blouses, sur-blouses, lunettes de protection, gants. Les employeurs s’inquiètent des risques que ce défaut d’équipement peut générer pour la santé de leurs salariés et des bénéficiaires dans les entreprises qui sont soumises à une continuité de service auprès des personnes fragiles. Le défaut d’équipement de protection individuelle rend cette obligation impossible à remplir. C’est la raison pour laquelle, par courrier du 14 avril, l’UDES a demandé au ministère des Solidarités et de la Santé ainsi qu’à celui du Travail, d’examiner la rédaction d’un texte permettant d’exonérer les employeurs n’ayant pu avoir accès aux équipements de protection individuelle de leur responsabilité, notamment pour faute inexcusable, hors cas de mise en danger délibérée des salariés.

Nous sommes inquiets de la manière dont certains secteurs (tourisme social, sport, culture…) vont pouvoir reprendre leurs activités après le 11 mai. Pour nos employeurs, pleinement mobilisés sur le terrain, l’Etat, qui a besoin d’eux, doit les protéger en levant les ambiguïtés qui peuvent entraver leurs missions sociales et médico-sociales.

Vous êtes également Directeur général d’Adédom (la fédération du domicile). Comment le secteur de l’aide à domicile, essentiel pour accompagner les personnes fragiles, fait-il face ? Quels sont ses besoins prioritaires ?

Le secteur du domicile est en première ligne. Dans l’urgence, face à la dangerosité du virus, il a dû faire face à une multitude de difficultés et apporter le soutien, le suivi et l’accompagnement indispensables aux personnes âgées.

Nous pouvons collectivement remercier les professionnels, les directions, d’avoir rempli leurs missions et de continuer à le faire. De nombreux témoignages montrent que les professionnels – agents à domicile, auxiliaires de vie, infirmiers, aides-soignants, techniciens d’intervention sociale et familiale – ont répondu inlassablement à tous ceux qui les interrogeaient qu’il était impossible pour eux de laisser dans leur solitude des personnes âgées, des familles ou des malades fragiles qui, sans leur aide auraient dû être pris en charge par un hôpital, ce qui aurait ajouté une pression supplémentaire à laquelle notre système n’aurait pu faire face.

Dans cette situation anxiogène, le manque de masques et d’équipements de protection individuelle a été la première urgence. Il a fallu et il faut encore se mobiliser sans relâche auprès de l’ensemble des institutions nationales et locales pour bien faire comprendre que les professionnels du domicile ont besoin, comme les professionnels de santé, d’être protégés. Il a été et il est toujours inadmissible et incompréhensible qu’ils soient considérés comme non prioritaires. Il est inadmissible que les dirigeants des associations d‘aide à domicile aient dû se débrouiller seuls pour trouver des solutions et répondre à cette urgence. C’est encore le cas, même si la situation s’améliore. Des pénuries demeurent dans un certain nombre de lieux, notamment pour protéger les professionnels en soutien de personnes atteintes du coronavirus.

Il faut toutefois relever la réactivité de la cellule de crise pilotée par la directrice de la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS), qui réunit de façon hebdomadaire l’ensemble des acteurs pour identifier les questions à régler : équipements, soutien économique au secteur, concertation préalable avant la parution d’ordonnances régissant des questions comme la priorisation des activités, la labellisation des EPI, l’accompagnement pendant la crise et en sortie de crise.

Nous avons collectivement apprécié la participation du Ministre de la Santé à certaines de nos réunions et nous avons été reçus par le premier ministre pour nous assurer de son soutien, de la volonté de l’Etat d’allouer une prime aux professionnels et de la nécessité de lancer la préparation d’une loi autonomie, etc.

Ces engagements constituent des débuts de réponse pour un secteur déjà très fragilisé par plusieurs années de manque de considération et de régulation et qui a besoin d’être à nouveau considéré comme acteur majeur de notre société. Les responsables des politiques publiques doivent notamment décider rapidement d’une revalorisation nécessaire des rémunérations de professionnels de terrain qui ont encore prouvé leur capacité à faire face dans un contexte de tempête planétaire. Il faudra en sortie de crise aborder les réformes structurelles nécessaires pour préparer une «société de la longévité» dans laquelle les personnes en perte d’autonomie mais aussi le grand âge et les professionnels du domicile seront enfin reconnus.

A plus long terme, quelles réflexions sur la place de l’ESS vous semblent nécessaires ?

L’après crise ne se fera pas sans l’ESS. La crise sanitaire du COVID-19 a montré au grand jour sa grande utilité et jouera un rôle important dans la sortie de crise.

Il est désormais temps de donner à l’ESS la place qui doit être la sienne dans l’économie du pays, alors que :

– La crise sanitaire du COVID-19 rebat les cartes des priorités sur les questions de santé et de protection sociale ;

– Elle contraint l’Etat et les collectivités territoriales à repenser leur relation aux acteurs qui, dans les territoires, assurent tous les jours l’accompagnement de nos concitoyens les plus fragiles ;

– La prévention des risques de crise conduit à repenser les modèles économico-financiers qui régissent le monde depuis plusieurs décennies en mettant en œuvre une vraie relocalisation des échanges et des emplois ; 

– Nombre de nos concitoyens attendent des réponses concrètes pour la protection de leur santé, pour vivre mieux, pour davantage d’équité dans la répartition des richesses, des réponses à l’impact du réchauffement climatique sur leur quotidien.

L’économie sociale et solidaire a développé depuis toujours des pratiques qui donnent corps à la responsabilité sociale de l’entreprise.

Les pratiques de l’ESS sont à examiner avec une plus grande acuité dans le moment que nous vivons :

– Peu ou pas de délocalisation des activités et des emplois ;

– Accompagnement de la cohésion sociale à travers des programmes qui contribuent au lien social, au « care », et qui sont autant de coûts évités dans les dépenses sociales pour la collectivité ;

– Implication des parties prenantes et notamment des salariés dans l’élaboration des projets et dans la participation aux instances ;

– Innovations sociales et mesure de l’impact social, sociétal et environnemental de ses activités ;

– Mobilisation de la société civile, notamment par le bénévolat et l’engagement des Français dans des actions d’intérêt général.

Le Président de la République a évoqué la nécessaire solidarité de la nation et le rôle essentiel des professionnels de l’aide à domicile et des établissements sanitaires et sociaux, en première ligne dans la crise sanitaire. Cette valorisation, même si elle était tardive, a été saluée comme un signe de reconnaissance des acteurs mobilisés. Le chef de l’Etat a également évoqué la nécessité d’inventer un nouveau modèle de développement post-crise, intégrant et inventant de nouvelles solidarités et reconnaissant les acteurs de santé et de protection sociale en dehors des lois du marché.

Les 200 000 employeurs de l’ESS sont prêts à relever le défi de ce changement de paradigme afin d’accompagner les nouvelles transitions nécessaires pour construire le monde de demain, prévenir et se préparer aux crises qui sont devant nous.